Carton

Nos gloires me fatiguent. Oui je sais : on a vu des introductions plus engageantes. Mais je crois vraiment qu’elles sont mal placées. Il y a cette idée héritée de la méritocratie selon laquelle il n’y a que ce qui se mesure qui compte. Alors il faut prouver sans cesse notre valeur, par les actes et par les discours. Le militantisme ne se libère pas de cette vision. Il faut dire que c’est compréhensible : Face à l’adversité, les certitudes rassurent. On veut se sentir solide au milieu d’un monde qui nous violente. On ne veut pas se tromper. On ne veut pas douter.

Très vite, il ne nous reste que deux alternatives, aussi mauvaises l’une que l’autre : être infaillibles ou s’autoflageller de ne pas l’être. Pour ce qui est de la deuxième option, on a raison de ne pas se laisser silencier par nos syndromes de l’imposteur. Mais de l’autre côté, la perfection n’existe pas. Elle n’est même pas désirable. Quand on la cherche, on trouve seulement des codes de bonne conduite : quoi faire, quoi dire, comment, avec qui. (Et tant pis pour ceusses qui n’ont pas eu accès au mode d’emploi. Tant pis aussi pour ceusses dont les vécus demeurrent impensés).

Tout cela me laisse sur la langue un goût amer. Comme si notre militantisme était en carton : une grosse boite prête à l’emploi, avec ses slogans rigides. C’est rêche quand il nous faut de la douceur, dur quand on a besoin de fluidité, jetable quand nos objectifs s’inscrivent dans la durée. À nous de caller nos fragilités dans le papier bulle.

Ce n’est peut-être qu’un détail. Qui se soucie d’où l’on place nos fiertés tant qu’on agit et que nos actions vont dans le bon sens ?

Mais je ne peux m’empêcher de penser que l’on pourrait faire mieux, rien qu’en acceptant nos limitations. Et je ne veux pas dire « admettre notre nullité intrinsèque », mais bien « embrasser notre humanité ». On peut tout à fait tirer de la joie de nos défauts (ou de ce que la norme nous a apprit à voir comme nos défauts, libre à nous de récalibrer les définitions). Je ne veux pas qu’on s’excuse en permanence. Je veux au contraire que l’on s’assume pleinement, sans nous cacher derrière une image de pureté (qui n’est accessible que si on est blanch, suffisamment valide, et qu’on accepte de rappeler régulièrement qu’on a été assignéé femme à la naissance).

Peut-être qu’alors il y aura davantage de place dans nos lutes pour le doute, les incertitudes, la complexité du réel. Peut-être qu’alors on cessera d’être paralyséés par la peur de mal faire, et que l’on s’autorisera à réfléchir à certaines questions en profondeur et en nuances plutôt que de répéter des slogans et des comportements préétablis comme dignes/safe/acceptables. Peut-être qu’alors on arrêtera de promouvoir quelques raccourcis au rang de verités universelles (comme si l’idée même d’une vérité universelle n’était pas en soit absurde et essentialiste). Peut-être qu’alors on sera moins dépendantts de l’approbation de nos pairs, et qu’on ira explorer de nouveaux horizons. Peut-être qu’alors on ne se sentira plus obligéés de participer à des campagnes de harcellement pour manifester une scission nette entre nous et nos adversaires politiques. Peut-être qu’alors on pourra voir nos revendications comme les premiers pas qu’elles sont plutôt que comme des finalités, et ça nous autorisera à rêver plus loin.

NB : il existe une version bien plus salée de ce texte, au point en fait d’en être indigeste. Le truc c’est que je ne suis pas uniquement dans la théorie quand je dis que j’ai envie de rêver au delà de nos revendications militantes. Pour être efficaces, on se doit d’avoir des objectifs atteignables, de se rendre compréhensibles par le plus grand nombre, et se faisant, on occulte certains pans de la réalité, certains vécus, certaines problématiques spécifiques. Ce n’est pas grave, c’est la vie. Parfois (hum.. souvent) je suis dans l’angle mort et j’en fais mon affaire. J’ai pas besoin d’être incluu tout le temps. Seulement, si l’on cherche à parfaire l’image d’un militantisme immaculé, et que l’on commence à agir comme si nos revendications (forcément limitées par le contexte dans lequel elles émergent) étaient LE pinacle de la politisation, que l’on dit « on lutte pour ça car c’est la seule cause qui vaille d’être défendue et quand on aura atteint ça tout ira pour le mieux » au lieu de « on lutte pour ça car c’est notre priorité là tout de suite, c’est là qu’on se sent pertinentts à intervenir », ce que j’entends c’est « tu ne compte pas ». J’ai conscience que la différence est subtile, qu’il est presque égoïste de ma part de la souligner. Je râle parce que je, moi personnellement, ne me sens pas vuu. Le fait est que vous avez le droit de ne pas me voir. C’est moi qui en suis incapable. S’oublier soi-même, c’est le premier pas vers un état dépressif : Soit parce qu’on se ment à soi-même jusqu’au burnout en essayant d’être quelqu’un qu’on n’est pas, been there, done that. Soit parce qu’on s’auto-catalogue comme intrinsèquement inadaptéé et que cela nous décourage de tout. La seule issue que j’ai trouvée, c’est d’embrasser ma vanité. Vanité au sens premier, littéral : faire des trucs qui ne servent à rien simplement parce qu’y renoncer est insupportable, et en tirer de la fierté (construire des édifices en carton, ptet bien, comme un outfit qui durera le temps d’une photo insta ;p). D’une certaine manière, je me dis que c’est cela, pour moi, être artiste. Mais ça révèle aussi en moi un snobisme qu’il n’est pas toujours utile de montrer (sauf peut-être aux personnes qui ont développé le même, pour les même raisons).

Alors voilà, je ne sais toujours pas si j’ai réussi à m’exprimer correctement, mais j’avais besoin d’essayer.

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