Plume D Serves

Macaria – Archives

Macaria est un projet d’écriture collaborative autour du travail visuel de Lauren G Camps dans le cadre d’un atelier organisé par Titre à Venir et les Intergalactiques. Après les échanges, six textes ont vu le jour, tous se répondent les uns les autres, créant un univers cohérent autour des images. “Archives” est l’un de ces six textes (le mien, du coup). Il peut être partiellement écouté sur Youtube.


Archive première

Studio d’enregistrement radiophonique de l’Australian Broadcasting Corporation à Ultimo en Australie

VOIX 1 : (énervée) Vous avez fini ?

VOIX 2 : …

VOIX 1 : Moi je veux bien être patiente, et je comprends que vous ayez des inquiétudes. Mais depuis tout à l’heure vous lancez accusation sur accusation et vous m’interrompez chaque fois que

VOIX 2 : Il n’y a rien à répondre.

VOIX 1 : Si c’est ce que vous pensez alors je vous plains. (Bruits de protestation) Oui, je vous plains, parfaitement monsieur. Nous sommes invités sur ce plateau pour échanger. Alors si pour vous la discussion n’est pas possible, je me demande ce que vous faites là.

VOIX 2 : Je vais vous le dire ce que je fais là. Je suis venu tirer un signal d’alarme. Vous procédez à des expériences contre-nature dans votre laboratoire, et il est de mon devoir d’en informer la population.

VOIX 1 : Vous parlez sans savoir Monsieur ! Je crois pourtant que nous nous efforçons d’être transparents. Je suis là pour répondre à toutes les interrogations que vous pourriez avoir. Faite au moins l’effort d’écouter avant de porter un jugement !

VOIX 3 : S’il vous plait, Monsieur Williams, Professeur Quatermaine, je vois que vous avez encore beaucoup à vous dire mais nous allons vraiment devoir passer à la suite de notre programmation…

VOIX 1 : Bien sûr. Je voudrais seulement, si vous le permettez, ajouter quelques mots. Ce soir de lourds chefs d’accusation ont été portés à mon encontre et à celle de toute mon équipe. Et je pense mériter un droit de réponse.

VOIX 3 : D’accord, mais soyez brève !

VOIX 1 : Monsieur Williams, vous promettez de me laisser finir ma phrase.

VOIX 3 : Il le promet. Allez-y.

VOIX 2 : (Grogne)

VOIX 1 : Merci. Contrairement à ce que vous avez laissez entendre, Macaria n’est pas un nouveau VIH. Il s’agit au contraire d’un

VOIX 2 : C’est un virus qui empêche le système immunitaire de fonctionner correctement ! Qu’est-ce qu’il vous faut de plus ?VOIX 3 : Monsieur Williams, laissez-la parlez s’il vous plait. Vous avez déjà eu toutes les occasions de donner votre opinion. Et nous manquons de temps.

VOIX 1 : (en colère) D’abord il va falloir arrêter d’employer le mot virus à tort et à travers. Macaria n’est pas un virus. C’est un microorganisme d’origine artificielle qui se propage par spore. Ensuite, il n’endommage pas le système immunitaire, il EST un système immunitaire. Macaria permet la compatibilité totale entre toutes les espèces du règne vivant. Deux cellules contenant Macaria vont se reconnaitre l’une l’autre et vont coopérer au lieu de s’attaquer. Alors oui, cela signifie que nous ne nous défendrons plus contre les bactéries, mais cela signifie aussi que les bactéries ne nous attaqueront plus. Cela signifie plus de rejet de greffe, plus de problèmes de transfusion, plus d’infections. Virtuellement, cela veut dire plus de maladies. Macaria pourrait bien nous rendre immortels.

VOIX 2 : Et vous vous prétendez scientifique ? Vous voulez nous faire croire cela ?

VOIX 1 : Ce n’est pas une question de croyance, Monsieur Williams. Il s’agit de faits. Nous travaillons sur Macaria depuis plus de vingt ans et nous avons une très bonne idée de son mode de fonctionnement. Nous en sommes à présent au stade des expérimentations humaines, et croyez bien que jamais le comité d’éthique n’aurait validé notre projet si nous n’avions des bases solides sur lesquelles nous reposer.

VOIX 2 : Mais arrêtez un peu ! Vous avez seulement fait appel au comité pour obtenir plus de financements. Tous les membres du jury avaient été gagnés au projet avant même de recevoir le dossier. Tout le monde le sait !

VOIX 1 : Sachez Monsieur qu’un comité d’éthique n’a aucune influence sur les possibilités de financement d’un projet. Et je vous parle d’expérience !

VOIX 2 : Vous avez reçu une subvention de deux millions de dollars ! C’est démentiel et vous le savez ! Jamais vous n’auriez obtenu une telle somme sans corruption !

VOIX 3 : Nous allons vraiment devoir rendre l’antenne.

VOIX 2 : Non mais attendez ! Vous avez construit un dôme de deux kilomètres de diamètre que vous avez entièrement bardé de capteurs pour étudier en détail l’évolution d’un écosystème isolé du reste du monde. Pour entrer ou pour sortir, il faut passer par quatre sas d’affilée. Quatre ! (bip) Et vous voulez me faire (bip) croire que Macaria n’est pas (bip) une menace ?

VOIX 1 : Ah parce qu

VOIX 3 : Merci Monsieur Williams, merci Professeur Quatermaine. Nous allons devoir conclure. Au troisième bip, il était dix-neuve heures. Nous n’avons pas eu le temps d’écouter la musique prévue mais ce n’est pas grave, les échanges étaient passionnés. Tout de suite, on retrouve Denis Kickett pour le journal du soir. Denis, à vous l’antenne.


Archive deuxième

Tribunal des hautes instances de Melbourne en Australie, quatrième jour du procès Bishop

VOIX 1 : Ils ont tué ma femme ! Ces monstres ont tué ma femme !

VOIX 2 : (bruits de huée) Calme dans la salle ! (deux coups de marteau)

VOIX 1 : Parfaitement oui ! Ils l’ont privée des derniers instants qu’elle aurait pu passer avec sa famille pour l’enfermer dans une bulle remplie de poison. J’étais là, d’accord ? J’ai tout vu ! Elle agonisait et personne n’est venu l’aider !

VOIX 3 : Qu’entendez-vous exactement par « agoniser » ?

VOIX 4 : Objection.

VOIX 2 : Rejetée.

VOIX 1 : (simultanément aux VOIX 4 et 2) Ce que j’entends par agoniser ? Ma femme était ficelée sur une chaise roulante automatique. Elle avait au moins trois intraveineuses reliées à son bras et les aiguilles la faisait saigner. Elle transpirait. Elle gémissait. Elle a vomi plusieurs fois un espèce de gruau blanchâtre répugnant. Elle était parcourue de spasmes. Que vous faut-il de plus ? Je crois qu’elle avait plusieurs hémorragies internes, la dernière fois que je l’ai vue.

VOIX 2 : Vous croyez ?

VOIX 1 : J’en suis sûr ! Sa peau est devenue bleue à certains endroits et elle a fini par perdre connaissance. Tous les docteurs savaient qu’elle mourait. Mais il n’y en a pas un qui est entré ne serait-ce que pour lui tenir la main ! Pas un ! Au lieu de ça ils ont voulu m’écarter pour m’empêcher de porter plainte.

VOIX 2 : Si vous avez été mis dehors, comment pouvez-vous être sûr que votre femme agonisait et qu’elle n’était pas en train de vivre une phase de transition, douloureuse, certes, mais momentanée ?

VOIX 1 : Parce qu’après cela elle est morte !

VOIX 2 : L’était-elle ? Le docteur Micham a pourtant affirmé lors du précédent témoignage qu’elle était bien en vie.

VOIX 1 : Il ment ! La chose que l’on m’a fait voir n’était pas ma femme ! C’était une créature répugnante qui avait son visage et c’est tout ! Ça n’était pas capable de parler. Ça grognait la plupart du temps. Et ça répétait aléatoirement quelques bouts de phrases. Ça avait un corps masculin, plus de seins, plus de courbes, trop de muscles. Ça n’avait pas de parties génitales. Croyez-moi cette chose n’était pas humaine et ce n’était certainement pas ma femme ! Ma femme est morte !

 


Archive troisième

Conférence TEDx Londres par Alexander Strapp en Angleterre

PUBLIC : (Applaudissements)

VOIX : Alors petite question en préambule : combien parmi-vous considèrent que les individus infectés par Macaria ne sont pas humains ? Levez la main. Hum, oui, presque tout le monde ici.

C’est parfait. Vous avez bien raison.

PUBLIC : (rires)

VOIX : Maintenant, une question plus difficile : savez-vous pourquoi iels ne sont pas humains ?

Oui ? Plus fort !

Parce qu’iels ne peuvent pas se reproduire avec nous ? Bien tenté ! Mais non.

PUBLIC : (rires)

VOIX : Il suffit qu’ils nous contaminent et nous devenions leurs pareils.

Ah j’entends quelque chose par là-haut. Oui. Parce que leur système de reproduction est différent du nôtre. C’est tout à fait exact. Bravo mademoiselle. Une autre hypothèse ?

Oui ?

Parce qu’iels sont moches ?

PUBLIC : (rires)

VOIX : Cela est très relatif, vous ne croyez pas ? Moi, je les trouve plutôt beaux, en réalité.

PUBLIC : (protestations)

VOIX : Et quoi ? Iels me fascinent. Depuis toujours je veux répondre à cette grande question : qu’est-ce qui fait un être humain ? Connaissez-vous la réponse ? Vous, madame, en quoi êtes-vous humaine ?

Ce n’est pas si facile de répondre, n’est-ce pas ? Voilà pourquoi je m’intéresse à Macaria. Les personnes infectées étaient jadis comme nous, et iels continuent de nous ressembler. Pourtant iels ne sont plus des Homo sapiens. Ils forment une toute nouvelle espèce, celle des Homo macaria.

Qu’est-ce qui fait un être humain ? Peut-on perdre son humanité ? Serait-ce grave si l’humanité disparaissait ?

PUBLIC : (protestations)

VOIX : Et si ! La question se pose ! Homo macaria pourrait bien supplanter Homo sapiens comme Homo sapiens a supplanté Homo neanderthalensis en son temps

PUBLIC : (fortes protestations)

VOIX : Eh bien oui ! Un dôme a ouvert à Sydney permettant à ceux qui le désirent de se faire volontairement contaminer par Macaria.

PUBLIC : (exclamations stupéfaites/huées)

VOIX : Mais si, mais si, je vous assure qu’il y a des volontaires. Je sais que cela peut paraitre dur à comprendre, mais en Australie, cela fait dix ans que l’on entend parler de Macaria. Les gens ont eu le temps de s’y habituer, et même d’apprendre à aimer la spore.

Je sais, c’est difficile à croire.

PUBLIC : (rires)

VOIX : Mais voilà, n’ayons pas peur de faire les avocats du diable, il y a réellement des choses attractives avec Macaria. … « Quoi par exemple ? » Avez-vous des idées ?

Personne ?

Et bien, comme le disait Mademoiselle tout à l’heure, iels ont un système de reproduction différent du nôtre. Un système tout à fait épatant, si vous voulez mon avis. Contrairement à nous, iels n’ont pas de sexualité. Déjà rien que cela, ça supprime pas mal de problèmes, vous ne croyez pas ?

PUBLIC : (rires)

VOIX : Les Homo macaria sont asexués, ce qui signifie que la misogynie n’a plus lieu d’être, le patriarcat n’est plus qu’un mauvais souvenir.
Les Homo macaria peuvent échanger n’importe lequel de leur membre avec n’importe qui, ce qui signifie que le mélange est la norme, le racisme ne peut que disparaitre.
Si nous étions contaminés, nous serions tous égaux, simplement parce que nous serions libérés de la reproduction sexuée. Nous échangerions simplement nos informations génétiques en troquant nos membres.
Cela n’a l’air de rien, mais cela change tout !
Imaginez plutôt :
Vous madame, voulez-vous mon bras ?

PUBLIC : (rires)

VOIX : Non ? J’ai une poigne solide pourtant. Parfaite pour ouvrir les boites de cornichons.

Non ? Vous êtes sûre ?


Mon pied alors ?

PUBLIC : (rires)

VOIX : J’ai le pied marin pourtant, c’est une bonne affaire, avec un pied comme cela, vous n’aurez plus jamais le mal de mer !

PUBLIC : (rires)

VOIX : Pas mal non ? Un homo-macaria peut tout échanger. Il lui suffit de faire son petit marché. Ses yeux, ses mains, ses poumons, ou même son cœur et son cerveau. Chaque fois qu’iel se greffe un nouvel organe, un séquençage ADN tout neuf est récupéré duquel l’organisme hôte peut copier autant de gène qu’il le désire.
Les homo-macaria évoluent beaucoup plus vite que nous. Iels n’ont pas besoin d’attendre toute une génération pour espérer des changements.
Vous monsieur, vous n’aimez pas votre nez ? Vous n’avez qu’à le troquer contre un autre. Ou vous pouvez juste le ramasser par terre, sur un arbre buisson’nez. Hop ! Vous le cueillez comme ceci, délicatement, telle une fleur.

PUBLIC : (timides applaudissements)

VOIX : Nous regardons les changements apportés par Macaria avec crainte. Elle pourrait, simple spore, nous faire perdre notre humanité. Pourtant nous avons beaucoup à apprendre d’elle.
Qu’est-ce qui fait un être humain ?
Je suis venu aujourd’hui pour vous poser la question. A vous maintenant de trouver votre propre réponse.

PUBLIC : (applaudissements)

VOIX : Merci pour votre attention. Merci à vous !

PUBLIC : (applaudissements)


Archive quatrième

Micro-trottoir dans la ville de Florence en Italie

VOIX (femme âgée) : J’en pense beaucoup de mal. Il y a des expériences qu’on devrait s’abstenir de mener, c’est ce que je dis !
Quand je pense qu’ils veulent ouvrir un dôme touristique à Constantinople ! J’en ai des frissons.
Vraiment ça me révulse.
Ah je sais ce que vous pensez ! On devrait laisser les gens libres vivre à leur façon, bien sûr.
Dans l’absolu je suis d’accord avec vous. Mais on parle de faire du profit en rendant les gens malades, tout de même !
Le monde va mal, ça je vous le dis !


Archive cinquième

Enregistrement d’un appel téléphonique entre le centre-ville de Calcutta en Inde et le dôme touristique de Melbourne en Australie

VOIX 1 : Attends, quoi ?

VOIX 2 : Tu m’as très bien comprise.

VOIX 1 : Mais tu as perdu l’esprit !

VOIX 2 : Ne le prends pas comme ça.

VOIX 1 : Et comment veux-tu que je le prenne ? Qu’est-ce que je vais dire aux autres ? On attend tous ton retour ! Laisse tomber les picouses et ramène ton cul ici !

VOIX 2 : Je suis las, Jaya. Las de tout. De mon travail, des disputes continuelles, de mon train-train quotidien. Je n’en peux plus de vivre dans un appartement minuscule, de galérer chaque fin de mois, de ta grossièreté, de tout.

VOIX 1 : C’est qu’une phase. Reviens je t’en prie !

VOIX 2 : Tu sais bien que non. Je deviens désagréable avec tout le monde. Moi-même je ne me supporte plus. J’aspire à autre chose. Je veux vivre en symbiose avec la nature et avec mes congénères.

VOIX 1 : Mais c’est du bullshit tout ça !

VOIX 2 : Je vais raccrocher, maintenant. J’avais espéré recevoir ton soutien, ou que tu me laisserais au moins faire mes adieux à la famille. Mais je vois que ce n’est pas possible. Alors adieu.

VOIX 1 : Non att

(Tonalité creuse)


Archive sixième

Reportage télévisé réalisé par France Info en duplex avec Singapour

VOIX : Oui, en effet Marianne, il ne reste rien de l’ancien grand dôme de Singapour, volé en éclat la nuit dernière. Derrière moi, l’ancien sas d’entrée n’est plus qu’une relique. Ce matin, les experts cherchent encore l’origine de la faille. D’après les premiers rapports, la catastrophe était inévitable. Partout sur la planète, les plus pessimistes encouragent la création de bunkers de la dernière chance. Ici à Singapour, toute l’île a été placée en quarantaine par l’armée Chinoise. Les habitants sont conduits vers des centres d’urgence où des médecins leur font passer des tests de dépistage. D’autres équipes ont été mobilisées pour mesurer la densité de spores dans l’air. Comme moi, ils portent une combinaison étanche conçue par la NASA. Si la concentration est trop élevée, certaines rumeurs affirment que la ville pourrait bien être passée au napalm pour empêcher la propagation de Macaria, alors que d’autres prétendent qu’une immense fournaise ne ferait qu’en accélérer la dispersion. Comme vous le comprenez, c’est la confusion totale. Les gouvernements étrangers promettent une aide humanitaire dans les jours à venir, mais pour le moment seuls les navires de guerre sont autorisés à débarquer. C’était Arthur Bertrand en direct de Singapour.


Archive septième

Vidéo amateur mise en ligne depuis San Francisco aux Etats-Unis

VOIX : (jingle) Yosh les copains ! Vous avez été nombreux en commentaires à me demander mon avis sur la polémique Macaria en Australie. Je ne vais pas vous le donner. Sérieux, vous savez tous déjà ce que je pense. On vit dans un monde de merde, les amis. Il y a des guerres tout le temps, des connards de riches qui veulent rien partager, des chouineurs de pauvres qui savent que s’plaindre, des abrutis certains d’avoir tout compris. On passe notre temps à se taper les uns sur les autres, à mettre des pouces rouges sous les vidéos. Tout ça pour quoi sérieusement ? Alors je vais vous dire, quand je vois que toute l’Australie a été conquise par Macaria, ben moi je me réjouis. Ouais ! Je me réjouis. Au moins, on ne va pas pouvoir raser tout le continent comme on a rasé Singapour il y a trois ans. Macaria est en marche ! Et c’est pas une mauvaise chose quand je vois tous les imbéciles qui vont enfin pouvoir se payer un nouveau cerveau. Franchement pour certains ce serait pas du luxe. Quand on voit tous les mesures prises par les gouvernements pour éradiquer les Homo macaria, c’est un putain de génocide auquel on assiste là, les gars. Et moi j’veux pas être du côté des exterminateurs ! Et ouais les copains vous avez bien compris. Je vais le faire ! Je vais carrément le faire. Ouais ma gueule ! Tous les rageux qui m’accusent de défendre Macaria et de rester humain, ben vous pouvez aller vous r’coucher. Vous voyez cette seringue ? Ouais ? Macaria inside, ayeah ! C’est ça le progrès. Tu veux kekchose et tu l’prend. Point barre. Demain j’aurai des putains d’abdos en acier trempé, et des dents comme sur une pub de dentifrice. Tout ça c’est la vie. Et j’suis pas allé me planquer sous un dôme, nan nan. Je suis le progrès en marche. C’est mon dernier jour en tant qu’humain et c’est ma dernière vidéo, j’avais prévenu sur les réseaux qu’elle serait spéciale. Vous voyez mon testament, là, mes cocos. Et si vous voulez en voir plus, abonnez-vous à la chaine de CeliaVlogging. Elle a promis de filmer ma métamorphose. Vous s’rez mes témoins. Je vous aime putain ! Amour et pain d’épices. On se retrouve en symbiose. Chouss’ tout l’monde !


Archive huitième

Journal de bord d’un soldat de l’unité d’intervention anti-Macaria du Mexique, base de Merida

VOIX : Troisième jour d’intervention depuis l’arrivée de notre unité dans la base du Yucatán. Ici aussi, des civils sont contaminés. Il est trop tard pour enrayer l’épidémie. Je regrette le temps où nous pensions pouvoir tout résoudre à coup de lance-flamme. Qui y croit encore ? Maintenant, on se contente de rabattre les civils vers les silos-foyers. Celui de Valladolid est prêt à accueillir les réfugiés, à condition qu’on leur ait d’abord fait passer dix jours en quarantaine. C’est le temps qu’il faut pour qu’un individu ayant contracté Macaria se mette à vomir ses organes. Le spectacle n’est pas beau à voir. J’ai toujours une satisfaction malsaine à passer les cellules au napalm après cela. Mine de rien, je profite de mes derniers jours en surface. Sous terre, je ne sais pas comment nous survivrons. Les casques bleus nous aident à constituer des réserves de nourriture, mais nous savons déjà qu’elles ne dureront pas toujours.


Archive neuvième

Discussion enregistrée par une caméra de surveillance dans le silo-foyer dAntananarivo à Madagascar

(bruits de pas rapides qui se rapprochent)

VOIX 1 : Reviens ! (les bruits de pas s’arrêtent)

VOIX 2 : Quoi ? Je ne fais rien de mal.

VOIX 1 : Mais si tu te fais prendre ?

VOIX 2 : Je ne me ferai pas prendre. Et de toute façon je ne vois pas ce que je peux faire d’autre. Mon système de broyeuse fonctionne et on arrive à cours de provision. Les cultures souterraines ne marchent pas et tout le monde le sait. Il faut donner une chance à mon idée.

VOIX 1 : Je sais. Mais attend au moins d’avoir l’autorisation. S’ils t’accusent de vouloir introduire Macaria dans le foyer, tu seras banni.

VOIX 2 : Je ne serai pas banni. On a trop besoin de moi ici. Et je ne peux pas attendre. Tu le sais. On n’aura jamais le temps de prévenir les autres foyers si on n’agit pas maintenant. Les communications sont de plus en plus mauvaises.

VOIX 1 : (silence) J’ai peur. (silence) On aurait dû rester à Maputo.

VOIX 2 : Non. Le continent a été infecté bien avant notre île. Cela fait des mois que l’on n’a plus aucun contact avec le Mozambique, et je ne crois pas qu’ils soient tous partis sur Mars comme ils prévoyaient de le faire.

VOIX 1 : Tu crois qu’ils sont morts !?

VOIX 2 : Je ne crois rien. Je dois tester mon broyeur. C’est peut-être notre seule chance de survie. Toi, ne t’inquiète de rien surtout. Et si quelqu’un me demande, dis que je travaille sur le rétablissement des connections avec le reste de l’Afrique.

(bruits de pas qui s’éloignent en courant)


Archive dixième

Interview du professeur Juan Muñoz dans le silo-foyer de Santiago au Chili

VOIX 1 : Bonjour professeur Muñoz, vous êtes spécialiste de l’Homo macaria et votre dernier ouvrage vient de paraitre aux éditions SdlA. J’avoue que vos sujets de recherche me passionnent. Moi-même je n’ai jamais eu l’occasion de voir ces humains étranges qui vivent au-dessus de nos têtes !

VOIX 2 : Oui, alors… Actuellement la communauté scientifique parle de Macarien plutôt que d’Homo macaria.

VOIX 1 : Ah ?

VOIX 2 : Oui. Je pense que depuis le début, les individus infectés n’étaient plus humains. On a continué à les appeler de cette manière seulement parce qu’iels avaient l’apparence humaine. Mais ce n’est plus le cas, alors le terme d’homo-macaria semble plus que jamais inapproprié.

VOIX 1 : A quoi ressemblent-iels alors ?

VOIX 2 : Iels sont en fait assez difficiles à décrire, car rares sont les spécimens qui se ressemblent. Mes collègues et moi, nous privilégions les descriptions métaboliques. Les macariens se nourrissent comme les plantes d’antan, en puisant leurs nutriments dans le sol, et en ayant recours à la photosynthèse. Pour cette raison, la plupart d’entre elleux ont une large tête, optimisée pour capter un maximum de soleil. Iels ont également des racines sur tout le corps qu’iels plongent dans l’eau pour se nourrir.

VOIX 1 : L’eau est nutritive ?

VOIX 2 : Il faut bien penser que rien en surface n’est pareil qu’au Foyer. Les macariens libèrent des spores en permanence. Ceux-ci emplissent l’air, y vivent, et puis retombent dans les rivières. Donc oui, l’eau nourrit les macariens. Mais attention, si vous, vous buviez cette eau-là, vous seriez contaminé immédiatement.

VOIX 1 : Notre nourriture vient pourtant de la surface.

VOIX 2 : C’est exact. Nos broyeurs permettent de changer certains éléments que nous trouvons en surface en une pulpe saine que nous pouvons consommer. Mais les broyeurs ne broient pas n’importe quoi, et nous prenons bien garde à ne pas les mouiller.

VOIX 1 : Que se passerait-il si quelqu’un mettait de l’eau dans un broyeur par inadvertance ?

VOIX 2 : Nous avons des procédures de contrôle qui nous permettraient de très bien gérer la situation. Dans un premier temps nous procéderions à une désinfection complète de la machine. Cela prendrait quand même entre deux et cinq jours, mais ce ne serait pas dramatique. Ensuite, nous nous occuperions d’éventuelles personnes contaminées avant qu’elles ne se mettent à libérer des spores.

VOIX 1 : Vous disiez pourtant que les premiers macariens avaient une apparence humaine. Je suppose que ce serait pareil pour moi, si jamais j’étais contaminé.

VOIX 2 : Oui, si vous étiez contaminé, vous resteriez probablement humanoïde pendant longtemps, par habitude. Mais il y aurait, malgré tout, des changements. D’abord, vous vous débarrasseriez de tous vos organes inutiles, c’est-à-dire ceux dédiés à la reproduction et à l’alimentation.

VOIX 1 : Mais c’est atroce ! Combien faudrait-il de temps pour je perde ma… enfin… pour que je ne puisse plus faire l’amour.

VOIX 2 : Peu de temps, si on en croit les témoignages du passé. Mais rassurez-vous, vous n’êtes pas contaminé. Les prises de sang auxquels vous avez droit tous les matins ne sont pas là pour rien !

VOIX 1 : C’est rassurant ! Mais quand même, je sais qu’il y en a parmi nos audio-spectateurs qui s’inquiètent. On dit que les macariens évoluent plus vite que nous, et certains pensent que leur existence nous condamne. Nous vivons déjà sous terre.

VOIX 2 : C’est vrai qu’ils évoluent plus vite. À bien des points de vue, ils nous sont supérieurs. Mais nous avons nous aussi nos atouts.

VOIX 1 : Lesquels ?

VOIX 2 : Nos dernières investigations tendent à montrer que les macariens sont de moins en moins actifs. A certains endroits, ils sont presque fossilisés. Aussi, il est possible qu’ils s’éteignent avant nous.

VOIX 1 : Nous pourrions remonter à la surface alors ?

VOIX 2 : Ne vous emballez pas trop, si l’extinction des macariens se produit, vous et moi serons mort depuis longtemps. Mais il y a bel et bien un espoir pour l’humanité. À l’heure actuelle, nous effectuons des tests pour déterminer si les fossiles de macariens sont susceptibles de contaminer nos descendants.


Archive onzième

Discussion enregistrée par une caméra de surveillance dans le silo-foyer de Dublin en Irlande

VOIX 1 : C’est Ruari… Il a dit que… Enfin je sais que tu le prends pour un menteur, mais cette fois c’est vrai ! J’ai vérifié auprès de Niall. On a reçu un communiqué du foyer de New York, ils nous ont transmis un message des chercheurs chiliens. Apparemment, Macaria recule !

VOIX 2 : Bien sûr qu’elle recule.

VOIX 1 : Je…. Vraiment ? Comment le sais-tu ? Et pourquoi tu ne m’as rien dit !

VOIX 2 : Je te dis tout, ma fille. A toi de mieux prêter l’oreille.

VOIX 1 : Mam !

VOIX 2 : Bah ! On n’a jamais vraiment compris Macaria, et comme chaque fois qu’on ne comprend pas quelque chose, on l’idéalise. On a pensé que les macariens nous étaient supérieurs, qu’ils nous anéantiraient, que nous n’avions le choix qu’entre la mort triste au fond des foyers ou la mort heureuse de ceux qui se laissent infecter. Mais au fond, personne ne croit vraiment ça.

VOIX 1 : Moi, j’y croyais…

VOIX 2 : Alors tu n’y as pas bien réfléchi. Nous ne resterions pas dans ce trou si nous y voyions notre tombe. On a toujours gardé espoir, au moins un peu. Si Macaria ne décroît pas, nous trouverons bien un moyen de l’y forcer. Nous les humains, on a de la ressource. Regarde-toi ma fille : tu es brillante, consciente, lettrée. Tu es capable d’affronter les problèmes avec ta raison.

VOIX 1 : Pourtant, je suis étonnée de choses qui te semblent aller de soi…

VOIX 2 : Tu es jeune encore, tu apprendras. Tu as le temps. Nous ne sommes pas encore prêts à sortir.

VOIX 1 : Nous pourrions l’être.

VOIX 2 : Pas avant longtemps, je le crains.

VOIX 1 : Pourquoi ?

VOIX 2 : Nous devons être sûr que nous ne serons pas contaminés. Ou bien tout le temps que nous avons passé sous terre aura été vain. Il y a au Foyer des gens qui méprisent la science, qui l’accusent d’avoir créé Macaria et de nous avoir ainsi condamné. Peu de gens veulent vraiment savoir ce qui s’est passé. Et je le comprends : il est tentant de vouloir oublier nos libertés passées quand on vit entre des murs qui n’ont pas de porte. Mais écoute ma fille, tu ne dois pas avoir peur du savoir. Le savoir est la clef. N’aie jamais peur de poser des questions. Et encore moins de chercher des réponses.

VOIX 1 : Oui mam.

VOIX 2 : Et surtout n’oublie pas, notre force, c’est la parole. Écoute, raconte, transmets, comme je l’ai fait et comme ma máthair l’a fait avant moi. Un jour nous remonterons. Mais ce jour n’arrivera que si nous restons humains. Notre salut, ce sont les histoires que nous racontons, quelles qu’elles soient.


Archive douzième

Chant religieux enseigné dans les écoles du silo-foyer de Montréal au Canada

VOIX :

Les hommes vivaient au paradis
Jusqu’au jour où Dieu a dit
« Je suis déçu de vous » (ter)

Macaria sur terre est venue
Et les Hommes l’ont reconnue
« Dieu est déçu de nous » (ter)

Et les Hommes sous terre descendus
Acceptent le jugement rendu
« Dieu est déçu de nous » (ter

Pourtant leurs cœurs gonflés d’espoir
Ne se résolvent pas au noir
« Pitié, pardonnez-nous » (ter)

Un jour la déesse Macaria
Aux hommes repentis dira
« Je suis ravie de vous » (ter)

 

Leave a Reply

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *