Marcher

Où allez-vous donc, de ce pas décidé ? Ne savez-vous pas que la marche est politique ?

Quoi ? Il faut bien avancer. Droit devant, ou suivant le droit chemin, à vous de voir. Allez de l’avant, quoi qu’il en soit, la stagnation est un crime, certainement.

Marcher, oui, avancer, franchir le palier, l’obstacle, la marche quoi, il ne faut pas vous faire un dessin quand même ?

Marcher est un cri de ralliement national.
« Marchons ! Marchons ! ». Chantons en cœur.
Marcher et faire marcher, entrainer avec soi le pays tout entier.
« En marche ! ». La messe est dite.

Pour aller où ? Peu importe.
Avançons tant que nos jambes nous portent.

L’injonction m’amuse.

Faire marcher. Tromper quoi, rouler dans la farine, un mensonge après l’autre.
Faut-il s’y attarder ? Ou bien chercher la duplicité ailleurs ?
Le double sens.

Marcher.

Est-ce vraiment le mouvement que l’on cherche ? L’élan vers le devenir ?

Ou bien est-ce plutôt la rassurante inertie du fonctionnel ?

« — Pourquoi ne changes-tu pas cet appareil ? L’écran est cassé, la batterie ne tient plus, les fonctionnalités sont obsolètes… et puis, tu as un modèle tout neuf, il te suffit d’ouvrir le paquet.
— Je sais, mais l’ancien marche encore. Il fait son office, tu vois ? »

« — Pourquoi suivre cet itinéraire compliqué ? Il cause bien des détours inutiles, quand cet autre chemin, ce raccourci juste là, est bien plus agréable à arpenter.
— Oui, oh, question d’habitude. Et puis ça marche, pas vrai ? J’arrive à destination. »

« — Pourquoi garder ce système, cette France ? Elle est injuste, ne crois-tu pas ? Elle établit une hiérarchie que je questionne. Pourquoi payer plus les ingénieurs, les commerciaux, les politiques et les patrons ? Pourquoi payer moins les boulangers, les professeurs, les artistes et les agriculteurs ? Penses-tu vraiment que les seconds valent moins que les premiers ? Vraiment ? Pourquoi récompenser la chance, celle d’être dans la bonne case : homme… cis… blanc… hétéro… valide… ? Nies-tu les discriminations que l’on crée, quand notre civilisation entière repose sur la capacité à entrer dans le moule, à répondre aux attentes, à s’encorder tous sur la marche de l’économie, le marché du travail, comme on dit.
— Oh ça ! D’accord le système n’est pas parfait, mais il marche, pas vrai ? L’apocalypse est encore loin. Les mécontents n’ont qu’à râler, s’ils le veulent. Qu’ils se mettent en grève, qu’ils gravent leurs revendications sur les murs, qu’importe. Haters gonna hate. Il est si facile de ne pas les écouter, de les ignorer le temps qu’ils se calment, ou qu’ils se fatiguent. Qu’ils oublient, tous, leur colère. Et toi, change donc d’échelle, regarde les progrès que l’on a fait depuis la préhistoire, dis-toi que l’on s’améliorera encore, que les problèmes se résoudront, un jour, si l’on persévère, si l’on va de l’avant au lieu de vouloir repartir de zéro. Je le répète, l’économie n’est pas parfaite, mais elle marche, dans l’ensemble, elle te permet de vivre, toi personnellement, hors de la guerre et de la nécessité. Peux-tu en dire autant des systèmes dont tu rêves ? »

Marchons, donc, puisqu’on nous le dit, et le monde finira bien par nous mettre au pas, enfin ?

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