Unmasking autism – Devon Price

Une fois n’est pas coutume, je vais parler d’un livre qui n’est pas de la SFFF, qui n’est pas de la fiction, et qui de plus, n’est même pas traduit en français. Et je vais en parler précisément pour ces raisons : parce qu’il aborde un sujet important, qui me concerne directement, et qui est absolument invisible en francophonie. J’ai nommé : un livre qui parle de handicap (ici, plus spécifiquement d’autisme) avec une approche sociale et intersectionnelle.

En France, quand il est question d’Autisme, on en est encore à jouer les coudes entre deux visions aussi caricaturales l’une que l’autre : d’un côté, il y aurait les autistes « lourds » (comprendre « qui ne parlent pas ») qui sont gravement handicapé·es et qu’il convient de cacher dans des institutions psychiatriques pour les « guérir » (fusse avec des méthodes violentes qui s’apparentent aux thérapies de conversion, on y reviendra), de l’autre les autistes « légers » (que l’on appelle aussi « Asperger » en hommage à un médecin nazi, vous noterez le bon gout) qui ont un « haut niveau de fonctionnement » et dont on peut exploiter les spécificités à des fins capitalistes.

Ces deux visions ont été forgées par des personnes non-autistes qui observaient une population Autiste bien spécifique (de jeunes garçons cishétéro blancs, plutôt aisés), ce qui entraine un double biais : d’une part, ne pas montrer ce à quoi l’autisme ressemble de l’intérieur. D’autre part, totalement invisibiliser les Autistes appartenant à d’autres groupes de population.

Sur internet, des blogs fleurissent où des jeunes autistes (comme par exemple Julie Dachez, aussi autrice de la bande dessinée « la différence invisible ») parlent de leurs vies et de leur découverte tardive de leur propre neurodiversité.

Mais ces blogs sont presque exclusivement tenus par des femmes blanches, qui finissent de fait par populariser cette idée fausse et essentialiste d’un « Autisme féminin » qui serait différent de l’Autisme « typique » ou « masculin ».

Or encore une fois, cette façon d’envisager les choses invisibilise des populations entières.

Dans son livre, Devon Price préfère parler d’un autisme masqué, et c’est cette vision là que j’ai envie de partager.

Quand iels sont jeunes, on ignore souvent les traits Autistiques des femmes autistes, des personnes trans et des personnes racisées, ou bien leurs symptômes de détresses sont interprétés comme de la « manipulation » ou de « l’agressivité ». Il en va de même pour les Autistes ayant grandi dans la pauvreté, sans accès aux soins mentaux. Les hommes gay ou gender-queer ne rentrent souvent pas assez dans l’image masculine de l’Autisme pour recevoir un diagnostic. Les Autistes plus âgé·es n’ont jamais eu l’occasion de se faire tester, car les connaissances sur leur handicap étaient trop limitées durant leur enfance. Ces exclusions systémiques ont forcé des populations entières, massives et diverses, de personnes handicapées à vivre dans l’obscurité. Cela a donné naissance à ce que j’appelle désormais l’Autisme masqué – une version camouflée du trouble qui demeure largement ignorée.
[…] Il n’est pas neutre d’appeler « Autisme féminin » la forme d’Autisme la plus discrète et socialement masquée. Cela sous-entend que le masking est une question de genre, voire même de genre assigné à la naissance, et non pas un phénomène plus large lié à l’exclusion sociale. Les femmes n’ont pas un autisme plus « subtil » du fait de leur biologie ; on ignore l’Autisme des personnes marginalisées en raison de leur position périphérique dans la société.
[Unmasking Autism, p.6-8]

Il me semble en effet qu’on ne peut pas comprendre une condition (ici l’Autisme) si l’on refuse de la voir dans sa globalité. Aussi, tant que l’on ne parlera pas des Autistes queer et/ou racisé·es, on demeurera incapables de penser une société véritablement accueillante de la neurodiversité.

(NB : l’absence de réflexion théorique sur le validisme ne se limite pas à l’Autisme. Il n’y a quasiment rien en français sur les « disable studies » ou sur les théories crip. Je parle ici d’Autisme parce que c’est le handicap qui me concerne le plus directement, mais il y a beaucoup d’autres pensées qui mériteraient d’être traduites).

(NB 2 : L’essai de Devon Price dont je fais ici un résumé rapide est émaillé de nombreux exemples tirés de la vie de l’auteur et de diverses personnes Autistes qu’il a interrogées. Il contient aussi des exercices pratiques pour aider à faire tomber son masque. De mon côté, je vais juste retracer les grandes lignes du texte dans une optique « donner envie de lire (voir de traduire ! Si vous êtes une maison d’édition, foncez. Moi j’ai traduit l’intro mais j’ai pas les droits pour la partager) le reste ».)

Chapitre 1 : Qu’est-ce que l’Autisme, en réalité ?

Puisqu’il est question d’autisme masqué, le chapitre commence par expliquer d’où vient l’invisibilisation : il y a l’idée qu’en acceptant un diagnostic, on se laisse enfermer par lui, que le handicap devient plus réel à partir du moment où on le nomme.

Mais un·e enfant Autiste souffre tout autant quand iel n’a aucun moyen d’expliquer pourquoi la vie lui semble si difficile. Même s’iels ne savent pas le nommer, les autres détectent sa différence et l’excluent malgré toute ses tentatives pour nouer des liens.
[Unmasking Autism p.17]

Les Autistes qui masquent dépensent ainsi beaucoup d’énergie à entretenir leur masque, jusqu’à ce que cette énergie leur fasse défaut.

Pour ma part, j’ai découvert que je suis Autiste après un double burnout au travail suivit de six mois de solitude absolue (et de dépression) pendant lesquels j’ai perdu tout ce qu’il me restait d’aptitudes sociales.

Bien sûr, cette peur du label ne vient pas de nulle part : il y a une vrai stigmatisation autour de l’Autisme, que d’aucun voient encore comme une tragédie

C’est ainsi que nous sommes toustes entrainé·es à percevoir les handicaps : comme une condition horrible qui rend monstrueuxe et impuissant·e, votre vie n’ayant de valeur qu’au regard des compétences savantes exploitables que vous pouvez avoir.
[Unmasking autism p.19]

Cette stigmatisation vient du fait que l’on méconnait la condition. Ce n’est pas tant l’Autisme qui effraie, c’est l’inconnu, l’incompréhensible.

Aussi est-il important dans un premier temps de revenir aux bases : qu’est-ce que l’Autisme ?

Au lieu de s’attarder sur ce que les allistes perçoivent comme signe extérieur d’Autisme, il est important de se pencher sur les marqueur neurobiologiques du neurotype, les expériences personnelles et les challenges que décrivent les Autistes elleux-mêmes.
[Unasking autism p.20]

L’Autisme, donc, est une condition neurologique (Ce qui implique qu’il y a rarement une seule personne autiste au sein d’une famille, et cela contribue aussi à l’invisibilisation de la condition : c’est difficile de comprendre que l’on est différent quand on est entourré·e de gens qui ont la même différence).

Par « condition neurologique », ce que Devon Price entend, c’est qu’il est possible d’établir des listes de caractéristiques que l’on retrouve d’une personne Autiste à l’autre. Mais il averti aussi : ce n’est pas une raison pour tomber dans un essentialisme biologique.

Le fait qu’un handicap ait des marqueurs biologiques ne signifie pas qu’il soit plus « vrai » ou légitime qu’un autre qui ne pourrait s’observer qu’au travers de comportements. L’Autisme, d’ailleurs, est toujours diagnostiqué en s’appuyant sur les comportements de la personne et les difficultés dont elle se plaint, pas sur un scanner cérébral. Le fait que l’Autisme ait des composantes neurologique ne signifie pas que ce handicap vaille mieux que, par exemple, un trouble du comportement alimentaire ou une addiction. Cela ne veut pas dire non plus que les Autistes sont condamné·es à toujours fonctionner d’une certaine manière ou à toujours être en difficulté.
Bien que comprendre la biologie soit utile de plein de façons, il y a un vrai risque à réduire un handicap à ces « causes » physiques. Cela peut nous mener à penser que notre biologie est notre destinée, que l’on est immuablement moins neurotypique. […] L’idée que certaines populations handicapées « ne peuvent pas s’empêcher d’être ce qu’elles sont » est déshumanisante et restrictive, même si on peut aussi y trouver de la légitimité et un sentiment de libération.
Quand la société commence tout juste à accepter un groupe marginalisé, l’acceptation prend souvent la forme d’une narration de type « born this way ». Par exemple, au début des années 2000, beaucoup d’allié·es hétéro affirmaient soutenir les homosexuel·les parce qu’être gay n’est pas un choix. [Aujourd’hui, les discussions sur les causes biologiques de l’homosexualité se sont taries]. Si quelqu’un choisissait d’être gay, ce ne serait pas un problème, car l’homosexualité n’est pas un problème. De la même manière, les Autistes méritent d’être accepté·es, non pas parce que nous n’avons pas choisit nos cerveaux, mais parce que l’Autisme n’est pas un problème.
[Unmasking autism p.23]

Ce que j’aime dans l’essai de Devon Price, c’est qu’alors qu’il liste diverses caractérisques de l’Autisme, il n’oublie pas de toujours insister sur la variabilité de la condition : il s’agit d’un spectre, et il n’y a pas de limite claire et net entre Autistes d’une part et allistes de l’autre.

« Tout le monde est un peu Autiste » est une phrase que beaucoup d’Autistes ont entendue lors de leur coming out. Cette remarque peut faire grincer des dents parce qu’elle donne l’impression de minimiser nos vécus. C’est du même ordre que de dire « tous le monde est un peu bi » à des personnes bissexuelles qui font leur coming out. Quand les gens font de telles remarques, ils sous-entendent qu’on ne peut pas être vraiment opprimé·es pour des différences si banales, et qu’on devrait se taire. Pourtant, lorsque des allistes déclarent que tout le monde est un peu Autiste, je crois qu’iels ne sont pas loin d’avoir une importante révélation sur la manière dont les troubles mentaux sont définis : pourquoi, quand deux personnes ont la même attitude, en arrive-t-on à déclarer l’une malade mentale et l’autre parfaitement normale ? Ou trace-t-on la ligne de démarcation ? Pourquoi essaie-t-on seulement de faire la dichotomie ?
[Unmasking autism p.32]

Partant de là, l’aspect social de l’Autisme reprend le dessus : il n’y a pas non plus de délimitation nette entre l’Autisme « typique » (tels que décrit sur des sujets masculins, blanc, straight) et l’Autisme « atypique » (masqué, que l’on commence à observer un peu chez les femmes, à défaut de se pencher sur les populations racisées et/ou queer). Et l’on en revient au point de départ : il y a beaucoup de clichés sur l’Autisme, dont on peut faire remonter l’émergence aux tous premiers travaux sur la question…

Hans Asperger et les autres pionniers de la recherche sur l’Autisme ont étudié des filles sur le spectre, mais généralement, ils ne les mentionnaient pas dans leurs papiers. Asperger, en particulier, évitait d’écrire sur les filles parce qu’il voulait présenter des Autistes intelligents, « de haut niveau », qui pourraient être « utiles » aux Nazi qui avaient envahis l’Autriche et commençaient à exterminer massivement les handicapé·es. […]Baigné dans les idéaux eugénistes de son temps, qui n’accordaient de droit qu’aux personnes « utiles » à la société, Asperger s’efforçait de décrire l’Autisme comme un trouble touchant des garçons intelligents quoi que troublés, issus généralement de familles aisées. Les filles handicapées étaient vues comme secondaires, et étaient laissées de côté. Les Autistes racisé·es n’ont pour leur part pas du tout été décrits par Asperger et ses contemporains (pas même ceux travaillant dans des pays comme les Etat-Unis, avec une plus grande diversité ethnique). L’existence d’Autistes LGBT ou genderqueer a été pareillement ignorée. En fait, la première thérapie de « traitement » de l’Autisme, l’ABA (Applied Behavior Analysis), a été conçue par Ole Ivar Lovaas, qui est aussi à l’origine des thérapies de conversion anti-gay.
[Unmasking autism p.36]

… et qui continuent d’être répandu au travers de la pop-culture.

Dans ces conditions, il reste beaucoup de personnes Autistes sans diagnostic, et qui n’y auront peut-être jamais accès, pour tout un tas de raisons.

En France, notamment, il y a deux options pour obtenir un diagnostic : aller dans un CRA (Centre de Ressource sur l’Autisme, il faut alors compter en moyenne trois ans d’attente), ou passer par un des rares psychiatres en libéral qui ont les compétences pour diagnostiquer (ce qui est plus rapide, mais très couteux). Personnellement, dans ma ville, le CRA ne prend aucun adulte sans certificat médical (ce qui signifie qu’il faut d’abord trouver un médecin qui suspecte un trouble), et je n’ai trouvé qu’un seul psychiatre à même de m’aider.

Aussi, il est nécessaire de prendre en compte les personnes sans diagnostic quand on parle d’autisme.

Je soutiens fermement l’auto-détermination Autistique. Je préfère les termes « autodétermination » et « autoréalisation » à « autodiagnostic » parce que je trouve plus sensible de voir les identités Autistes sous un prisme social que strictement médical.
[Unmasking Autism p.44]

Chapitre 2 – Qui sont les autistes masquants ?

Comme on l’a vu, l’Autisme est invisibilisé chez un grand nombre de personnes en raison de leur position marginale dans la société.

Sur internet, des listes circulent qui listent des traits de « l’Autisme féminin » (comme par exemple ici). Mais ces listes sont biaisées. D’une part, parce que certains éléments ne s’appliquent pas qu’aux femmes.

Dans cette liste de trait, je reconnais certains éléments qui s’appliquent à moi ou à d’autres Autistes de tout genre diagnostiqué·es sur le tard. Il y a une manière particulière dont le neurotype se manifeste chez les personnes qui n’ont découvert leur identité que tardivement.

D’autre part, parce qu’à l’inverse, certains éléments sont décrit d’une manière extrêmement genré qui exclu de fait certaines personnes, quand bien même leurs traits sont du même ordre que ceux décrits.

Qu’est-ce que « fait plus jeune que son âge » signifie ? Est-ce qu’un homme large de carrure et barbu qui adore collectionner les Funkopop et regarder des matchs de MMA aura l’air « enfantin » ? Ou bien est-ce que cette description ne s’applique qu’aux femmes menues qui portent des robes et parlent de leur amour pour les chevaux avec une voix aiguë ? Bien trop souvent, la différence entre celleux qui seront perçu·es comme des Autistes innocents et timides, et celleux qui seront perçu·e comme flippant·es, bizarres, et clairement handicapé·es relève plus de la racialisation, du genre et de la morphologie que d’une quelconque différence profonde dans la personnalité ou le comportement. Il n’y a pas non plus de définition objective attachée au fait d’être « émotionnel·le » ou « un vrai caméléon ». Il est plus aisé de se camoufler socialement quand, de base, la société ne vous regarde pas avec suspicion.
Cet ensemble de traits sert généralement à définir un « Autisme féminin », mais cette appellation ignore le fait qu’un haut pourcentage de la population Autiste est transgenre ou genderqueer.
[Unmasking autism p.56]

Quand on est Autiste et trans, on se rend assez vite compte que le narratif d’un « Autisme féminin » ne colle pas. La façon que nous avons d’être autiste n’a rien à voir avec nos genres assigné·es (féminin versus masculin) : quel sens cela aurait-il, quand on n’est ni un homme ni une femme ?

Comme le dit Bobbi, un·e trentenaire Autiste et non-binaire : « Je n’ai pas été élevé·e ou ‘socialisé·e’ comme une fille Autiste. J’ai été élevé·e comme étant bizarre, et une erreur en terme de genre ».
[Unmasking autism p.51]

Comme Bobbi, j’ai été élevé et socialisé comme une bizarrerie freak plutôt que comme un « garçon » ou une « fille ». Ni les garçons ni les filles ne me voyaient comme faisant partie de leurs, et je ne m’identifiais pas à elleux non plus. Je me voyais comme une créature mystico-féérique débarquée dans la mauvaise réalité par accident, bien plus que je ne me percevais comme « féminin » ou même humain.
[Unmasking autism p.57]

(Vous n’avez pas idée à quel point j’aurais pu écrire ces mots. Quand j’étais au collège, j’étais persuadé·e de venir d’un autre monde. Et ma mère est témoin puisque je le lui avais dit)

C’est en fait une expérience Autistique très commune […]. S’identifier en dehors de la binarité (et en dehors de l’humanité) est aussi un moyen pour nous de mettre un nom sur au combien on se sent détaché de la société et de nos corps. « Bien sûr, c’est difficile pour moi d’adopter une démarche féminine, je suis un robot dans un costume humain! » Il y a un terme pour les Autistes trans qui conçoivent leur neurotype et leur identité de genre comme inextricablement liée : autigenre [ou neurogenre, plus largement].
[Unmasking autism p.58]

(Évidement, la large intersectionnalité entre transidentité et Autisme sert aussi d’argument aux transphobes, qui n’y comprennent rien et croient voir une preuve qu’on n’est pas vraiment trans, mais seulement confu·es et manipulé·es par le lobby trans à cause de notre Autisme)

Les personnes racisées sont elles aussi grandement sous-diagnostiquées. D’abord parce que, comme pour les femmes ou les personnes queer, on demande aux personnes racisées de faire plus profil bas que les garçons blancs. Mais ce n’est pas tout : il y a les stéréotypes racistes qui font que des comportements typiquement Autistiques vont être interprétés comme des signes « d’agressivité » ou de « mauvaise éducation » quand ils se manifestent chez des personnes racisées. (il y a aussi des clichés qui ont la vie dure, comme l’idée que la thérapie serait « un truc de blancs », ce qui n’aide pas à chercher un diag).

Par ailleurs, le cout du masquage est plus important chez les personnes racisées puisqu’elles doivent souvent masquer deux fois :

Beaucoup d’Afro-Amricain·es doivent pratiquer le code-switching : quand iels passent d’une communauté à l’autre, iels doivent passer de l’anglais Afro-Américain à l’anglais standard, moduler leurs apparences, leurs manières, la place qu’iels occupent, et éviter d’être négativement stéréotypé·es. Le code-switching, comme le masquage Autistique, est un procédé couteux visant à signaler que vous « avez votre place » dans un espace donné, et à masquer les parts de vous-mêmes dont vous savez qu’elles pourraient vous valoir d’être discriminé·es. Le code-switching est une activité cognitivement fatigante qui peut nuire à la réussite simultanée d’autres tâches complexes, il est associé à du stress psychologique et à un sentiment d’inauthenticité et d’isolation sociale. […]
Les Autistes Noir·es peuvent avoir des rapports très compliqué au code-switching et au masquage. Prétendre être neurotypique selon les codes de sa propre culture est déjà une épreuve. Devoir le faire de plusieurs manière différentes, en utilisant différents dialectes et manières en fonction du contexte, c’est un tout autre niveau de performance sociale.
[Unmasking autism p.63]

Cela sans compter que les risques à ne pas masquer son décuplés :

Environ 50% des personnes tuées par la police sont handicapées, et les Autistes Noir·es et racisées sont particulièrement à risque. Être identifié·e comme Autiste peut être périlleux pour les femmes et les minorités de genre, peu importe la racialisation ; pour les Autistes Noir·es et racisé·es, cela peut être mortel.
[Unmasking autism p.65]

C’est cela, au fond, le masquage : une stratégie de survie.

Plus vous déviez de ce que la société approuve, plus votre masquage devra être élaboré. Cacher votre Autisme, votre culture Noire, et votre queerness ou féminité… ça peut être trop. Parfois, la seule alternative viable et de se taire et s’inhiber en profondeur.
[Unmasking autism p.67]

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Le reste du chapitre traite de la diversité des profils Autistes :

  • Les Autistes extravertis, car si le mot-même Autisme a été pensé par Eugène Bleuler pour dire littéralement « auto-centré, soi isolé », il y a de fait des autistes qui sont extravertis, qui ont besoin de beaucoup de simulations sociales pour se sentir bien. En fait, cela n’est pas si surprenant quand on considère la forte comorbidité entre Autisme et TDAH (au point qu’on parle parfois de « conditions sœurs » tant il peut être difficile de les démêler)
  • Les Autistes avec d’autres conditions : comme l’Autisme est multifacette, il peut facilement être confondu avec d’autres diagnostics comme le syndrome de stress post-traumatique, l’anxiété ou le trouble de la personnalité borderline. Notons que ces conditions peuvent aussi co-exister (par exemple, on peut développer un syndrome de stress post-traumatique complexe ou une dysphorie sensible au rejet parce qu’on est traumatisé de l’exclusion subie en raison de notre Autisme) (Il est aussi intéressant de noter que les suivis psychiatriques de ces troubles annexes sont parfois moins efficaces sur les personnes Autistes : Les thérapies cognitivo-comportementale (TCC) par exemple, sont conçues pour aider les personnes à réaliser que leurs angoisses sont irrationnelles, mais les angoisses des Autistes qui ont été exclu·es toute leur vie s’appuient sur un vécu bien réel et répété). Par ailleurs, de nombreuses comorbidités sont documentées entre l’Autisme et d’autres troubles tels les syndrome d’Ehlers-Danlos, les troubles gastro-intestinaux, les troubles dys ou l’épilepsie.
  • Les Autistes dits « de haut niveaux », car les personnes neurotypiques adorent classifier les Autistes en fonction d’un degré supposé « d’intelligence », même si c’est totalement à côté de la plaque (on peut « fonctionner » dans un domaine et pas dans un autre, et souvent, l’étiquette « haut » ou « bas niveau » est donnée depuis l’extérieur, et décrit plus la faculté d’une personne à masquer qu’autre chose)

Chapitre 3 – Anatomie du masque

Les Autistes masquants n’ont pas le mot « Autiste » accolé à eux. En revanche, on leur a collé tout un tas d’autres étiquettes pas moins stigmatisantes sur lesquelles il faut se pencher : égoïste, robotique, bizarre, immature, puéril·e, dégoutant·e, égocentrique, embarrassant·e, froid·e, naïfve, stupide, cruel·le, faible, pathétique, chouineur·euse, etc.

Une grande part du processus d’unmasking va consister à regarder ces traits que vous aimez le moins en vous, et travailler à les voir comme neutres, voire même comme étant des forces.
[Unmasking autism p.95]

Le fait est que, comme on l’a vu, l’Autisme a été primairement définit par des personnes allistes qui remarquent d’abord dans nos conditions ce qui les dérangent. Les « thérapies » comme l’ABA consistent à faire du dressage pour rendre les enfants Autistes le moins visiblement Autistes possible, quitte à les torturer pour cela. Forcément, il en résulte une vision biaisée où l’on apprend à se voir uniquement sous notre jour le plus défavorable : on ne sais pas qui l’on est, on sait ce en quoi on dérange.

Avoir un « bon comportement » est plus important que d’être psychologiquement bien.
[Unmasking autism p.101]

Quand on n’a pas été diagnostiqué·e, on ne nous dresse pas directement (#ABA) à nous comporter d’une certaine manière. Il n’empêche que l’on nous montre ce à quoi on n’est pas sensé ressembler. Il y a des personnes handicapées autour de nous, dans la vraie vie ou dans les fictions, et l’on sait qu’on ne doit pas leur ressembler. Et en même temps… on sait qu’on leur ressemble. Je n’ai eu mon diagnostic d’Autisme qu’à 27 ans, mais le mot avait plané sur moi toute ma vie. C’était une moquerie dans la cours de récréation, ou une remarque à la volée. Je me souviens d’un jour, je faisais du covoiturage avec un cousin et ma mère pour rentrer du mariage d’une cousine, et l’on parlait d’écriture tandis qu’à la radio une émission parlait d’Autisme. A un moment de la conversation, il y a eu un blanc pendant lequel j’ai écouté attentivement la dame à la radio qui disaient des choses auxquelles je pouvais clairement m’identifier (quoi que j’étais dans le déni total), et puis mon cousin à demandé « et toi, t’es comme ça ? » Je me rappelle m’être dit « merde, il me demande si je suis Autiste là ? » et avoir commencé à paniquer. J’ai dit « comme quoi ? » et lui « bah, tu veux vivre de ta plume ? », et j’ai respiré à nouveau.

Je ne savais rien de l’Autisme, et ce n’était pas un mot qui avait formellement été accolé à ma personne. Mais je savais que je ne devait pas être ça.

Je le savais d’une manière très floue : il y avait ces choses que j’étais et que je devais m’efforcer de cacher. Il y avait ces mots dont on me qualifiait : bizarre, flippante, mais pourquoi tu pleures encore ?

Alors on masque. On sur-masque même, parfois :

Pour beaucoup d’Autistes maquants, le meilleur moyen de camoufler un trait socialement indésirable et de performer une attitude opposée, et de sur-corriger tout ce que les personnes neurotypiques et les institutions nous ont appris à détester en nous-même. Un·e Autiste moqué·e dans son enfance pour trop demander d’attention et être trop intense pourra par exemple camoufler en s’efforçant d’être hyper indépendant·e et émotionnellement évitant·e. A l’inverse, un·e Autiste qui s’est entendu dire toute sa vie être égoïste ou robotique pourrait porter un masque de servilité, et faire des efforts compulsifs pour toujours plaire aux gens et être dans les bonnes grâce de ses professeurs.
[Unmasking autism p.104]

Chapitre 4 – Le prix du masque

Dans ce chapitre, Devon Price se penche sur les différentes conséquences que peuvent avoir le fait de masquer :

  • Avoir des problèmes d’alcool et de consommation de drogue
  • Avoir des troubles du comportement alimentaire
  • Être détaché·e de la réalité et dissocier
  • Adhérer à un système de croyances et à des règles rigides
  • Être servile et vouloir faire plaisir aux gens à tout prix

Quand on y pense, tous ces traits relèvent d’une même réalité : quand on masque, on performe une identité qui n’est pas la nôtre, c’est à dire que l’on doit cesser d’être maitre·sse de nous-même, car « nous » ne sommes pas assez bien, pas dignes d’être accepté·es. Pour y arriver, il faut s’oublier soi-même : dans la consommation de substance diverses, en s’échappant de l’idée même que l’on a un corps (ce qui mène aux TSA ou à la dissociation), en se perdant dans le respect obtus d’un certain nombre de règles « objectives » que l’on aurait juste « à suivre », en s’effaçant devant le jugement d’autrui et en laissant les autres décider à notre place (s’iels sont satisfait, c’est que tout va bien).

Je ne peux pas vous dire combien de fois j’ai entendu des Autistes dire qu’iels souhaiteraient n’être rien que des cerveaux en suspension dans un bocal, ou un brouillard sombre et doué de sensations mais dépourvu de forme physique.
[Unmasking autism p.123, I feel attacked]

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NB : un jour j’écrirais un truc sur la manière dont l’extrême droite instrumentalise le besoin d’acceptation des personnes Autiste pour recruter des membres. En attendant, je mets juste ce court extrait :

Bien sûr, la plupart des Autistes ne sont jamais radicalisé·es par des groupes haineux, et il serait à la fois validiste et éthiquement douteux de faire du handicap une excuse valable pour adopter des idéologies racistes, sexistes ou transphobes. Cependant, il est important d’observer comment des personnes vulnérables peuvent être corrompues par des gens qui exploitent l’exclusion sociale dont elles font l’objet, leurs penchants Autistiques tels l’hyperfocus et l’envie d’avoir des règles établies à suivre, et qui usent de stratégies de manipulations bien connues des mouvements sectaires.
[Unmasking autism p.133]

Chapitre 5 – Repenser l’Autisme

On a vu plus haut que le masquage était lié à l’envie de camoufler un certains nombres de traits pré-établis comme indésirables, ce qui a des conséquences phychologiques importantes.

Quand une personne issue d’un groupe hautement stigmatisé absorbe et croit les stéréotypes négatifs associé à son groupe, elle souffre de ce que les chercheurs appellent l’auto-stigmatisation. L’auto-stigmatisation est lourde ; les personnes les plus atteintes connaissent une perte de confiance en elles-même et se voient comme moins capables que les autres, de plus, elles ont souvent peur de chercher de l’aide.
[Unmasking autism p.144]

Voilà venir le moment où l’on se penche à nouveau sur ses traits et où l’on s’aperçoit qu’ils ne sont pas aussi mauvais qu’on a voulu nous le faire croire.

Certaines expériences liées à l’Autisme sont déplaisantes peu importe de quelle manière on les envisage. Les problème gastro-intestinaux sont douloureux. La surcharge sensorielle est un tourment absolu. C’est très compréhensible qu’un grand nombre d’Autistes (moi-même inclus) préféreraient se passer de ces aspects-là du handicap. Mais aucun trait de personnalité ou mode de pensé ou sentiment associé à l’Autisme n’est intrinsèquement mauvais. Généralement, on internalise l’idée que nous sommes mauvais·es, immatures ou cruel·les parce que les neuroTypiques autours de nous n’ont pas les outils pour envisager nos traits Autistiques du bon angle.
[Unmasking autism p.146]

Dans le livre, Devon Price donne un tableau qui met en relation la manière (négative) dont les Autistes peuvent être perçu, avec des manières (positives) dont les Autistes peuvent se percevoir elleux-mêmes :

  • Arrogant > Confiant·e, indépendant·e, de principe
  • Froid·e ou sans émotion > Analytique, rationnel·le, réfléchi·e
  • Pénible et bruyant·e > Enthousiaste, vivant·e, franc·he
  • Puéril·e > Curieuxe, ouvert·e d’esprit, joyeuxe
  • Bizarre/dérangeant·e > Authentique, unique, qui ne se fond pas dans la foule
  • Naïfve ou pathétique > Réfléchi·e, qui n’assume pas des choses, ouvert·e, vulnérable
  • Susceptible > Sensible, Emotionnel·le, à l’écoute, compatissant·e
  • Bizarre/chelou·e > Unique en son genre, un·e pionier·e, non conventionnel·le

Par ailleurs, les Autistes ont aussi des intérêts spécifiques qui peuvent être célébrés, et ce, même si ce sont des intérêts qui ne sont pas socialement reconnus comme utiles.

Il est intéressant de constater que les adultes sont seulement moqués pour leurs intérêts spécifiques et obsessifs si ces derniers sont un peu trop « étranges » pour permettre l’admiration ou un gain financier important. Les personnes qui travaillent huit heures par jours tous les jours de la semaine ne sont pas pénalisées pour être obsessives et en hyper-focus ; elles sont félicitées pour leur diligence. Si, en rentrant de son travail, un adulte profite de ses soirées pour apprendre à coder ou à fabriquer des bijoux qu’iel vend ensuite sur Etsy, iel est vu comme entreprenant·e. Mais si quelqu’un occupe son temps libre à des activités qui lui apporte du plaisir sans que ce ne soit financièrement lucratif pour qui que ce soit, alors ce sera vu comme frivole ou embarrassant, voire même égoïste. Dans ces circonstances, il apparait clair que les méthodes punitives appliquées aux enfants reflètent en fait un problème social bien plus vaste : le temps plaisant, non-productif et dédié à l’amusement n’a pas de valeur, et quand quelqu’un se passionne pour la « mauvaise » chose, cette passion est découragée parce qu’elle représente un distraction par rapport au travail et aux autres responsabilités « respectables ».
[Unmasking Autism p.152]

Personnellement, il y a des intérêts spécifiques qui ont modelés ma vie, et je ne serais juste pas la même personne sans eux. Quand je réfléchis à qui je suis, je me définis à travers l’écriture en premier : je suis écrivain·e bien davantage que je ne suis quoi que ce soit d’autre. Ce n’est pas que le reste est sans importance, c’est que c’est au travers de l’écriture que je me connecte au reste, au monde, aux gens que j’aime.

Dans la suite du chapitre, Devon Price nous encourage à ré-envisager des moments de nos vies où l’on s’est senti·es pleinement heureuxes et vivant·es pour essayer de déterminer ce qui sous-tendait ces moments : apprendre à voir ce que l’on aime, quelles sont nos valeurs, et in fine, les choses dont on peut tirer de la fierté dans nos propres vécus.

Il nous encourage aussi à chercher ce que le fait d’être Autiste nous a apporté : des compétences que l’on aurait développées à force d’hyper-focusser ou de s’intéresser à des sujets ultra spécifiques, des rencontres avec des personnes qui sont chères à nos cœurs, des expériences ou des traits de personnalité liés à notre neurotype, etc.

Chapitre 6 – Construire une vie Autiste

Dans ce chapitre, il est question de ce que l’on peut espérer gagner à laisser tomber nos masques.

Je pense qu’au final, c’est cela que tous les Autistes masquant devraient viser : S’accepter et se faire confiance assez inconditionnellement pour ne plus craindre le rejet et les pertes qui accompagnent parfois la décision de vivre authentiquement.
[Unmasking autism p.167]

Devon Price donne des pistes pour

  • se construire un environnement adapté sensoriellement (en se posant des questions telles que « est-ce que je préfère avoir un espace minimaliste sans distractions visuelles, ou bien est-ce que je préfère les espaces cozy plein d’objets familiers ? »)
  • pour repenser la manière dont on définit un succès : parfois, quand on ne finit pas un projet, ce n’est pas un échec pour autant, on a apprit en cours de route, et c’est peut-être ce qui compte.
  • pour apprendre à faire les choses à notre manière : parfois, c’est ok de renoncer à faire certaines choses. (moi par exemple, j’ai accepté de manger les même nouilles au kubor tous les midis, parce que je ne m’en lasse pas et que c’est trop d’énergie de réfléchir à varier le menu le midi ET le soir)
  • pour être radicalement visible : parce que de toute façon, on est directement identifié comme bizarres, et on reçoit parfois moins d’hostilité quand la « bizarrerie » a une explication

Par exemple, Sasson at al. (2017) ont établi que les neurotypiques identifiaient rapidement et inconsciemment qu’un·e étranger·e est Autiste, souvent au bout de seulement quelques millisecondes. Cela dit, iels ne réalisent pas qu’iels ont identifié l’Autisme, iels pensent juste que la personne est bizarre. Les participant·es à l’étude étaient moins intéressé·es et engagé·es dans les conversations avec des Autistes, qu’iels aimaient moins que les non-Autistes, tout cela sur base de données sociales collectées en quelques instants. Il est aussi important de signaler que les Autistes de cette études n’ont rien fait de « mal » ; leur comportement était parfaitement socialement approprié, tout comme le contenu de leurs discours. Mais bien qu’iels aient fait de leur mieux pour paraitre neurotypiques, il y avait des indices de leur neurotype dans leur performance, iels étaient un peu en « décalage », et iels étaient mésestimé·es pour cela.
[…]La solution, alors, est d’arrêter de masquer et de prétendre être ce que l’on n’est pas. Au lieu de se forcer (et échouer) à imiter les NT, on peut devenir radicalement visibles. Les recherches de Sasson on montrées que que les participant·es étaient informé·es qu’iels interagissaient avec des Autistes, leurs biais disparaissaient. […] La visibilité radicale a du bon.
[Unmasking autism p.185]

Il parle aussi du fait que, d’un point de vue structurel, les aménagement qui bénéficient aux Autistes peuvent aussi bénéficier au reste de la population :

Bien sur, les recherches sur l’organisation industrielle suggèrent que très peu de personnes sont en fait adaptées à une structure rigide avec huit heures de travail hebdomadaire, handicap ou pas. La plupart des travaillaires sont seulement capables de se concentrer et d’être « productifves » environ quatre heures par jour. Les longues journées de travail et les longues heures de transports entachent la qualité de vie des gens, ainsi que leur satisfaction professionnelle, et leur santé mentale et physique. De plus, beaucoup d’éléments d’un environnement de travail neurotypique sont dérangeant et anxiogènes pour les allistes aussi bien que pour les Autistes. Les allistes ont juste tendance à mieux savoir ignorer l’inconfort de vives lumières fluorescente ou l’odeur prégnante de l’eau de Cologne de leur collègue. En ce sens, prendre en compte les besoins des travaillaires Autistes revient à écouter le canari dans les mines à charbons : nos sensibilités et nos besoins aident à réaliser combien les exigences du monde du travail peuvent être injustes, y compris pour les personnes neurotypiques.
[Unmasking autism p.175]

Chapitre 7 – Cultiver des relations Autistes

Cependant, arrêter de masquer ne se passe pas toujours bien. Il y a parfois des réactions négatives, de rejet. Et pour véritablement tomber les masques, il nous faut aussi apprendre à gérer ces situations là :

Il est vital que l’on apprenne à gérer des relations conflictuelles et à se tenir droit·e face des réactions négatives d’autrui. Tant que nous n’abusons ni ne violons les droits de quiconque, nos actions ont le droit d’être désagréables pour les autres. […]De bien des manières, le masquage ressemble (psychologiquement parlant) à de la co-dépendance, un schéma de relation, qui résulte souvent d’une situation d’abus, où l’on cherche à gérer et contrôler les réactions et émotions de l’autre. Arrêter de masquer implique que l’on arrête de se reposer sur l’acceptation des neurotypiques pour guider nos manières d’agir.
[Unmasking autism p.193]

Par ailleurs, il est aussi important de savoir évaluer les risques et bénéfices d’un coming-out Autistique : il faut se rappeler que le masquage est, comme on le disait au tout début, une stratégie de survie, et cesser de masquer peut représenter un réel danger qu’il n’est pas toujours judicieux de prendre.

A ce compte, on peut choisir d’être out auprès de certaines personnes seulement. Et puisqu’il est question de choisir avec qui on partage quoi, Devon Price parle aussi de l’importance de s’entourer des personnes qui nous sont véritablement bénéfiques : celles avec lesquelles on peut ne pas être d’accord, celles qui nous aident à réfléchir sans nous juger, celles qui communiquent et nous donnent des chances de progresser, celles qui nous respectent toujours, celles qui nous inspirent, celles qui révèlent le meilleur de nous, celles auprès desquels ont peut être le plus authentique et sans filtre possible.

Suivent d’autres conseils pour faire des rencontres de qualités avec des gens susceptibles de nous comprendre :

  • Communiquer clairement sur ce que l’on veut (y’a clairement plus de chances d’être compris·es et d’obtenir ce que l’on souhaite si on le verbalise, d’une manière ou d’une autre)
  • Laisser tomber les attentes neurotypiques (ce qui implique aussi d’accepter nos limitations)
  • Trouver et créer nos communautés (il y a tout un passage sur le fait que les fandoms nerd et/ou queer et/ou bdsm sont remplis d’Autistes, parce que le fait même de se passionner à fond sur un sujet spécifique et d’y passer tout son temps… ma foi… c’est très Autistique comme comportement #intérêtSpécifique) (il y a aussi des conseils pour comment trouver des groupes par et pour les Autistes, IRL ou en ligne)

Chapitre 8 – Créer un monde neurodivers

Dans ce chapitre, il est question de la distinction entre le modèle médical du handicap versus le modèle social du handicap :

Le but de la médecine et de la phychiatrie est d’identifier ce qui ne va pas chez les gens, et de prescrire des interventions pour faire disparaitre les symptômes de ce dysfonctionnement.
[…] Pour nombre de maladies et de handicaps, le soin médical et le prisme médical sont indiscutablement appropriés. Si vous avez des douleurs attroces et journalières en raison d’un dommage nerveux, les traitement et la médications peuvent vous aider. Si vous avez une condition dégénérative qui va de mal en pis, comme la sclérose en plaque, vous avez toutes les raisons de soutenir la recherche médicale en quête d’un remède.
Mais le modèle médical du handicap échoue à rendre compte des handicaps qui découlent de l’exclusion sociale ou de l’oppression. Parfois, ce que la société (et l’institution psychiatrique) considère comme un défaut personnel est en fait une différence bénigne qui requière des aménagements et de l’acceptation. Bien que l’homosexualité ait un jour été classifiée comme une maladie mentale, ça n’en a jamais été une. Essayer de « guérir » l’homosexualité n’a jamais marché, et a seulement causé des dommages psychologiques. En fait, catégoriser les homosexuel·les comme étant malades a créé l’illusion qu’iels étaient effectivement malades mentaux, parce que l’ostracisation et la honte contribuent fréquemment à la dépression, à l’anxiété, à l’abus de substances, et aux comportement auto-destructeurs, entre autres problèmes psychologiques.
D’où l’émergence dans les années 80 du modèle social du handicap, conceptualisé par l’universitaire antivalidiste Mike Oliver.
[Unmasking autism p.229]

Dans le modèle social du handicap, ce n’est pas l’individu handicapé que l’on doit soigner d’une « tare », c’est la société qui handicape activement certaines personnes en n’étant pas accessible.

Quand on regarde les choses de cette manière, on remarque deux choses :

  • La première, c’est que la création d’une société où les Autistes ne sont pas obligé·es de masquer ne relève pas de l’action individuelles : si la société ne change pas, alors les conditions qui poussent au masquage demeurent, et de nombreuses personnes Autistes parmi les plus marginalisées resteront contraintes de masquer.
  • La deuxième, c’est que s’il faut changer la société : les revendications deviennent très politiques.

Or donc : de quels changements politiques avons-nous besoin ?

Premièrement : Mieux protéger légalement les personnes handicapées. Cela signifie qu’il faut activement lutter pour une meilleure accessibilité (l’accessibilité ne pourra jamais être totale, dans la mesure où les besoins des un·es et des autres ne sont pas toujours compatibles. Mais il y a encore de nombreuses stations de métro dépourvues de rampes, des programmes sans audio-description, des interventions publiques non traduite en LSF, etc), et prendre des mesures pour que les employaires ne puissent pas virer leurs employé·es handicapé·es sous des motifs fallacieux dès lors qu’iels découvrent leur handicap.

Deuxièmement : Élargir les normes sociales. Cela signifie qu’il faut faire de la place aux personnes handicapées, pour que s’estompe la dichotomie arbitraire entre ce qui est « normal » et ce qui ne l’est pas.

Enfermer les personnes handicapées et neurodivergentes dans des institutions crée un cercle vicieux de stigmatisation et de répression sociale : cela empêche de concevoir et de voir les personnes qui divergent de la norme, même juste un peu, alors la société se modèle autour d’une vision du monde de plus en plus restreinte, ce qui complique encore davantage la vie de la génération suivante de personnes déviantes. C’est seulement en résistant à cette spirale infernale de rejet et de déshumanisation, et en ouvrant la protection sociale, que l’on pourra défaire tout le mal qui a été fait et créer des institutions et des communautés qui accueillent tout le monde.
[Unmasking autism p.239]

Troisièmement : Éduquer les gens sur la neurodiversité, et le faire depuis très jeune.

Quand on apprend aux jeunes ce que sont le racisme, le sexisme et l’impérialisme à travers l’histoire, on devrait souligner la manière dont les opprimé·es sont souvent dépeint·es comme hystériques, paranos ou fols. Il est important que tout le monde (les neurodivers comme les neurotypiques) réalise que les définitions étroites de ce qui est sain et « fonctionnel » sont utilisées pour blesser et déshumaniser. Et puisque les problèmes de santé mentales sont si fréquents (chaque année, environ 20% de la population aura a gérer une maladie mentale), tout le monde bénéficierait d’une éducation solide à la psychologie, inculquée dès l’enfance.
[unmaskin autism p.241]

Quatrièmement : Garantir l’accès universel au soin et à un revenu de base. Actuellement (en France comme aux Etat-Unis), les personnes handicapées peuvent demander une allocation mais celles-ci ne leur est accordée que pour un temps limité (sauf rares exception, il faut renouveler la demande tous les deux à cinq ans) et peut être supprimée si la personne se met en couple (puisque les revenu du conjoint sont pris en compte dans le calcul des montants alloués). En France, les MDPH chargées d’accorder ou non les allocations sont tellement surchargées qu’il faut parfois attendre plus d’un an pour avoir une réponse (alors que légalement le délais ne devrait pas excéder trois mois).

Les procédures et investigations pour accorder des allocations aux handicapé·es sont incroyablement couteuses. C’est pour cette raison que l’anthropologiste et auteur du livre « Bullshit job » David Graeber a suggéré qu’il serait bien moins couteux et bien plus socialement juste de simplement accorder à chacun·e un revenu de base, sans condition. […] Plutôt que de forcer les Autistes (et les autres) à prouver et re-prouver qu’iels sont vraiment handicapé·es, et ne peuvent vraiment pas travailler, un revenu universel de base pourrait être distribué à chacun·e, ce qui enverrait, symboliquement et en pratique, le message que tous les humains méritent d’avoir assez d’argent pour vivre, quoi qu’il arrive.
[Unmasking autism p.245]

Cinquièmement : abolir les systèmes carcéraux. Parce que comme dit plus haut : la police peut se montrer particulièrement violente (et meurtrière) vis à vis des personnes handicapées. Mais au delà de ça : les institutions médicales et psychiatriques peuvent elles aussi faire preuve d’attitude répressives qui sont ni plus y moins des prisons qui portent un autre nom.

Si l’on s’oppose à la violence d’Etat de la police raciste, il est tout aussi important d’examiner la manière dont les professionnels de santé internent de force des personnes racisées et handicapées, leur retirent la garde de leurs enfants, les déclarent légalement incompétentes, et de manière générale font preuve de la même extrême violence sociale que la police. […]
Sous un prisme individuel et médical, militer pour une meilleure santé mentale peut vite mener à des injonctions au conformisme. Alors si on veut créer un monde où toustes les Autistes de tous les milieux peuvent vivre sans masque, il nous faut supprimer les organes de pouvoir susceptibles de violemment punir celleux qui échouent à ou refusent de se conformer à la norme.
[Unmasking autism p.247]

Pour finir, encore une fois : de tels changement ne bénéficieront pas qu’aux Autistes (ni qu’aux handicapé·es), mais bien à l’ensemble de la population.

Conclusion

Je n’ai résumé ici que l’aspect politique et social de l’essai de Devon Price, qui contient aussi de nombreux passages visant à aider les Autistes (et autres personnes neurodivergentes, parce que y’a des recoupements possibles, comme on l’a vu les frontières entre les différents diagnostiques, et même avec la norme NT ne sont pas toujours nettes) à naviguer dans le monde : comment se reconnecter avec qui nous sommes en réalité, sous nos masques. Il s’agit d’apprendre que nous ne sommes pas des monstres, là dessous, bien au contraire. A trouver notre propre valeur, ce à quoi on croit et ce à quoi on aspire.

Je crois vraiment qu’on a besoin de ce livre (lui ou bien un autre qui lui ressemble) : pour apprendre à nous voir (dans notre globalité, sans essentialisme) et pour dessiner les contours d’un monde où l’on serait (toustes) autorisé·es à exister sans maque.

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