Santé (et validisme) en science-fiction

Sommaire :

Avertissement de contenu : Sur tout l’article, il sera question des diverses violences médicales et de validisme. On parlera aussi de sexisme, de queerphobie et de racisme. Mention de viols. Selon mon appréciation, j’ai mis certains passages plus explicites sous balise spoiler.

L’étrange absence d’une SF crip

(Et pourquoi je vais parler du validisme au travers de la SF qui parle de santé)

La première fois que j’ai envisagé d’écrire sur la santé, j’ai cru que je n’aurais rien à dire. Bien sûr, j’avais une santé, mais elle était bonne, alors je n’y avais jamais trop réfléchi. Et puis en fait… je suis ingénieur biomécanique de formation, c’est officiellement mon métier que de m’occuper de la santé d’autrui (Plus précisément : de faire semblant de m’occuper de la santé d’autrui en résolvant des problèmes qui n’ont pas été décrits par les patient·es mais par les patrons et investisseurs). Et puis en fait, je suis autiste, c’est à dire handicapé·e, c’est-à-dire que je fais partie de ces gens dont la société ne sait pas quoi faire, car sur la limite floue entre le normal et le pathologique, là où il n’y a peut-être rien à guérir.

Je suis loin de n’avoir « rien à dire » sur la santé.

En fait, j’ai même beaucoup à raconter. Je crois qu’il y a quelque chose à tirer de ce regard croisé qu’est le mien : j’ai un point de vue mi-dominant (de sachant·e, de diplomé·e qui possède l’autorité symbolique) ni-dominé (de patient·e, d’handicapé·e qui a besoin d’aménagements).

Je crois qu’il y a quelque chose qui se joue entre la fiction et la santé, quelque chose de subtil qui dépasse le cadre de la simple représentation. Bien sûr, il y aurait beaucoup à dire sur la représentation également, sur la place qu’on laisse aux personnes malades et/ou hindies : entre l’inspiration porn (ce personnage rencontre tellement d’obstacles et pourtant s’en sort/arrive à faire tel truc/est heureuxe… moi aussi je peux !) et la pitié/horreur (heureusement, telle n’est pas ma vie !) qui vise la même fonction, celle de rassurer les valides sur leur propres problèmes.

(NB : pour creuser la question de la représentation que je ne vais pas aborder ici, voir par exemple cet article sur la psychophobie dans le cinéma de genre)

Mais comme je le disais dans mon précédent article sur les structures narratives, pour moi, la représentation n’est que la partie émergée de l’iceberg.

Le lien entre fiction et santé, pour moi, se joue bien plus en profondeur, jusqu’à la structure même du récit. Quand on parle de fiction politique, de créer des utopies, de sortir des injonctions normatives au travers de la fiction, je pense d’abord « il doit exister, c’est sûr, une science-fiction antivalidiste ». Car qu’est-ce qui est moins normal que le pathologique ? Déclarer qu’une chose est pathologique est une excellente manière d’institutionnaliser une différence (je parlais dans cet article sur le validisme de la manière dont le racisme et les queerphobies ont d’abord été conceptualisés comme des notions « scientifiques » voire « médicales »). Il doit y avoir des récits de science-fiction qui critiquent nos manières actuelles de pratiquer la médecine ! Qui inventent de nouvelles manières de prendre soin !

Mais non. Et c’est là que cela devient effrayant (pour moi, qui écris, et qui n’ai aucune envie d’être pionier·e de quoi que ce soit, merci bien).

Quand je cherche à représenter des personnages marginalisé·es en termes de genre, je trouve de nombreux exemples desquels m’inspirer. Dans les classiques, on parle beaucoup d’Ursula Le Guin (dont j’ai moi-même parlé plus haut dans cet article). Mais on pourrait aussi citer L’autre moitié de l’homme de Joanna Russ (qui parle du patriarcat avec ton irrévérencieux qui fait plaisir à lire), Triton de Samuel R Delany (dont je parlais dans un article dédié et qui dit beaucoup de choses sur le genre au travers d’un récit fort ambigu), Venus plus X de Théodore Sturgeon (que j’évoquais dans mon article sur les utopies comme rare exemple de récit évitant les principaux écueils du genre, selon moi) ou encore Les Guérillères de Monique Wittig. Et ce ne sont là qu’un échantillon des titres parus avant ma naissance. De nombreux autres livres sont parus depuis, faisant de la SF féministe/queer un mouvement à part entière que l’on peut étudier.

Quand je réfléchis à la SF antivalidiste en revanche, il n’y a pas grand-chose qui me vienne en tête.

Du côté des livres qui parlent de handicap (c’est à dire : non pas les livres qui ont des personnages handicapé·es, mais ceux qui essaient d’avoir un propos sur ce qu’est le handicap, le validisme, ce que serait un monde d’où cette oppression aurait disparu/serait exacerbée, etc.) je n’ai pas grand-chose à me mettre sous la dent.

Il y a surement des titres qui existent et dont je n’ai simplement pas eu connaissance. Mais de ce que j’ai pu lire, il y a :

  • L’anthologie En situation de handicap… dans le futur paru chez Arkuiris. Ce sont des nouvelles plutôt courtes, et la plupart n’ont pas le temps de développer un propos sur le handicap (ou alors c’est moi qui peine à faire des analyses complètes sur les textes trop courts ?). C’est pas forcément grave, vous noterez, la représentation c’est cool aussi. Y’avait par exemple une nouvelle que j’avais beaucoup aimée : Concours incertains de Livia Galeazzi parle d’une personne qui arrive à se sortir d’une attaque terroriste à base de gaz hallucinogène parce qu’elle est schizophrène et que les hallucinations, elle s’y connait. Y’ a aussi des nouvelles qui volent pas haut, comme celle qui présente des handis qui militent pour interdire aux valides d’utiliser des fauteuils roulants. Faut vraiment rien connaitre des luttes handis pour écrire ça. M’enfin
  • Certains travaux de Li-cam (je pense notamment à Résolution dont j’avais parlé , et à d’autres nouvelles comme La map d’Iris ou Celle qui n’a pas lieu d’être)
  • Hors SFFF, le roman Handigang de Cara Zina, qui est LE livre que l’on me recommande à chaque fois que je dis à un·e libraire que je cherche des fictions sur le handicap (enfin disons que c’est soit lui, soit aucun)
  • La nouvelle A crocs perdus de Lauriane Dufant dans Demain la santé où on sent les bonnes intentions de l’autrice (le résultat m’a pas convaincu·e malheureusement)
  • Une nouvelle dans La Grande anthologie de la science-fiction — Histoire de médecins : Dans Aucune femme au monde...  de Catherine Moore, une femme transférée dans un corps mécanique est moquée pour vouloir reprendre sa pratique artistique alors que sa performance sera « moins bien » qu’avant.

Bref il y a peu de titres qui parlent frontalement de handicap et de validisme (ce quand bien même les handicapé·es représentent vingt pour cent de la population, mais ce sont vingt pour cent invisibles, moi-même j’ai passé vingt-sept ans de ma vie à ne pas avoir conscience de mon propre handicap).

Mais au-delà de ça, parmi toutes les histoires qui abordent d’autres sujets (et c’est très bien d’aborder d’autres sujets, il n’y a pas que le handicap dans la vie), il y en a où j’attendrais malgré tout un certain regard sur le handicap : les histoires de SF qui parlent de santé et de médecine.

Un exemple qui m’a particulièrement marqué est la nouvelle Inotropisme de Mélanie Fievet : je pense que si j’avais lu cette nouvelle dans un autre contexte que le recueil Demain la santé où je l’ai lue, j’aurais passé un excellent moment à la lire. Dans un recueil « demain l’émeute » elle aurait tout à fait trouvé sa place : il y a une bonne gestion de la tension, des idées intéressantes (comme le CK, un gaz utilisé par les forces de l’ordre qui produit sur celleux qui le respirent les mêmes effets que la dépression). Mais dans un recueil sur la santé, le texte est plutôt hors sujet, et cela laisse une impression étrange.

On y voit des street-médics qui tentent de soigner les manifestant·es avant que ces dernier·es ne soient tenté·es d’appeler l’hôpital (organe de normalisation) à la rescousse. À ce stade, ce n’est pas loin d’être une vision des luttes antipsychiatries que j’aurais adoré lire… mais je ne peux m’empêche de penser que cette interprétation-là est accidentelle. Il manque quelque chose : la fragilité peut-être, le besoin d’une bienveillance entre insurgé·es qui contrebalancerait la violence d’un système médical autoritaire qui tord au lieu de soigner, les traumas qui font qu’on n’a pas besoin de gaz CK pour avoir une crise d’angoisse en plein champ de bataille. Le ton est un peu trop classiquement viriliste (avec des hommes-forts-TM et des femmes-forte-TM qui luttent contre l’adversité et font fi de la douleur).

Qu’on soit clair, hein — on n’était pas demeurés
[Mélanie Fievet, Inotropisme, Demain la santé p.51]

Ce qu’a voulu faire l’autrice (à mon avis) c’est mettre en scène des véritables guerrier·es qui se battent jusqu’au bout pour leurs idéaux, qui préfèrent souffrir mille morts que d’accepter ce que leur propose l’ennemi… et tout ça a été plié pour rentrer dans le thème imposé de la santé (par la métaphore des manifestant·es comme système immunitaire de la société, et par la transformation des forces de l’ordre (cops’) en « force de soin » (Corps)). Le tout crée un sentiment de décalage : ce n’est pas pour avoir éprouvé et appris à craindre les violences médicales que les personnages refusent d’aller à l’hôpital, c’est par principe. Les protagonistes (Mana et le narrateur) ont des privilèges qu’iels ne questionnent pas. Ça fait seulement d’eux des héros, des saviors qui se sacrifient pour ce qui est juste.

« [Elle,] personne la soignera de l’autre côté du front. Tu m’étonnes qu’elle soit venue gueuler.
Moi ?
Je suis pas venue gueuler moi, je suis venue aider. […]Assurée ? Tu déconnes ? […] Plutôt crever que d’approcher un seul de leurs hostos. »
[Mélanie Fievet, Inotropisme, Demain la santé p.42]

Un principe qui me rappelle un peu trop (et à la défense du texte, c’est surement lié au moment où je l’ai lu, en pleine pandémie de Covid) les postures virilistes « vivre quitte à en crever » adoptées par les anti-masques.

On se verra là-bas, dit Mana.
Ou dans les cellules blanches de San Rock [l’hôpital, NdlR], blague une voix.
Non, Mana répond. À Jonction, ou into black.
[Mélanie Fievet, Inotropisme, Demain la santé p.60]

Quel média rappelle qu’en France, il y a 660 000 morts par an et qu’avec le Covid, on va simplement avoir une surmortalité de 5 % à 10 % en 2020 ?
[…] J’ai des amis qui ne sortent plus depuis un mois. Pas une fois ! De quoi ont-ils peur exactement ? De mourir ? De souffrir ? De la maladie ? De contaminer les autres ? Est-ce qu’ils savent que vivre est une maladie mortelle ? Que le risque est consubstantiel à la fragilité magnifique du vivant ? C’est le fond ontologique du problème.
[…] L’expérience [que le confinement] tatoue en nous m’inquiète : la « distanciation sociale », se tenir loin des gens, ne plus se faire la bise, barrer son visage par un masque comme on placerait un bâillon sur sa bouche, se méfier des autres « par principe », « au cas où »
[Alain Damasio dans une interview sur Reporterre, et vraiment je suis d’accord qu’adopter une posture répressive face à la pandémie c’était nul, mais ça veut pas dire qu’on aurait du faire comme si de rien n’était et tant pis pour les personnes plus fragiles parce que « de toute façon ça ne représente pas tant de monde que ça, numériquement »]

Tout ceci fait qu’on pourrait avoir de ce texte une lecture intéressante (contre la vision normée de la médecine en particulier dans sa branche psychiatrique, contre aussi l’exploitation des personnes en EPHAD dont l’activité professionnelle n’est pas soumise au Code du travail). Mais j’y vois plutôt une histoire de lutte des classes où les violences médicales servent de vernis esthétique.

Il n’y a pas d’handicapé·es dans cette nouvelle (pas plus d’ailleurs que de personnes racisé·es, ce qui à mon sens pose question dans un texte qui témoigne à ce point des violences policières). Il n’y a que « les pauvres » versus « les riches ».  Le soulèvement populaire que l’on nous donne à voir n’est ni crip ni freaks. C’est pas une mad pride. C’est les gilets jaunes (ce qui encore une fois n’est pas mal, juste : hors sujet).

Le héros a une rage de dents qu’il pourrait faire soigner, mais il ne veut pas, car ce qu’on lui demanderait en échange ne lui convient pas.

Tout le monde avait pigé que ça revenait plus ou moins à de l’esclavage, que les firmes qui te proposaient [des contrats post-éval] te les faisaient signer avec des méthodes de truands, pas tout à fait le couteau sous la gorge, plutôt la pointe du bistouri sur l’abcès : t’as pas de quoi payer, alors bosse, vingt ans de ta vie à nos conditions ou bien on te débranche.
[Mélanie Fievet, Inotropisme, Demain la santé p.51]

Ce que je lis ici peut être interprété de deux façons :

  • Soit toutes les personnes qui ne pouvaient pas travailler (faute de handicap, y compris ceux qui résultent de la vieillesse) ont été « débranchées » : dans ce cas la société dépeinte est non seulement une dystopie capitaliste et de contrôle… mais aussi profondément eugéniste. Et alors : Pourquoi n’est-ce jamais adressé ? Pourquoi les raisons qui poussent le héros sur les barricades se limitent-elle à « oh non on revend nos données » (c’est grave, hein, juste c’est pas votre seul problème, là) ? Pourquoi on ne parle pas de toutes les personnes qui sont mortes parce qu’elles étaient trop handicapées pour travailler et ainsi rembourser leurs frais de santé ? (Frais potentiellement bien au-dessus de la moyenne justement en raison du-dit handicap)
  • Soit on est dans un monde où il serait capitalistiquement rentable de faire payer chaque acte médical en assignant les soigné·es à un travail forcé « de remboursement », ce qui n’a de sens que si l’on se place dans une perspective où le handicap n’existe tout simplement pas.

Dans les deux cas, il me semble que le handicap est oublié (soit par les personnages, soit par le wordlbuilding lui-même), et cela fait plutôt mauvais genre dans une nouvelle qui, au moins par accident, fait écho aux mouvements de types antipsy.

Celleux qui auraient vraiment besoin de soin sont évacués d’un :

on peut pas tous être des héros.
[Mélanie Fievet, Inotropisme, Demain la santé p.53]

Pour moi, cette nouvelle illustre assez bien à quoi peut ressembler l’absence de considération générale pour tout ce qui touche aux personnes malades, handicapées, fragiles, etc. : Justement parce que le thème auquel la nouvelle se raccroche est la santé, je m’attendais à ce que les premier·es usager·es du système de soin soient pris en compte, au moins évoqué·es. Et puisqu’iels ne le sont pas… je sais pas, on dit que certains silences sont assourdissants : c’est l’effet que cela me fait.

Il y a surement un biais de ma part : je cherche des récits qui inventent des structures où les personnes marginalisées et handicapées ont une place, et j’espère les trouver dans les récits qui parlent du soin. Parce que le soin, pour moi, cela devrait être cela : être à l’écoute des autres, laisser une place pour les personnes qui ne peuvent pas être aussi productives que les autres, qui ont besoin de traitements ou d’aménagements.

Au final, je trouve que d’une manière ou d’une autre, les récits qui parlent de soin (de santé, de médecine, etc.) finissent toujours par dire quelque chose du handicap. Seulement, c’est pas toujours fait exprès. Parfois ça rate, les angles morts deviennent du pur validisme. Parfois c’est super, et ça me rassure un peu.

Alors je veux parler de ça : de ces récits de soin qui auraient pu constituer une littérature freak/crip, mais qui ne l’ont pas fait, faute d’être assez nombreux.

Prépondérance du féminisme (et du queer)

(Et comment il efface parfois le reste)

Dans mon précédent article sur les structures narratives, j’évoquais La théorie de la fiction panier (Ursula Le Guin), un des textes fondateurs sur la nécessité d’écrire des récits différents de ceux décrits par Campbell comme universel. Ce que je n’ai pas dit alors, c’est que le début du-dit article propose une explication plutôt essentialiste (avec une joyeuse mention du paléolithique) qui lie la masculinité au type de structures narratives devenu dominant.

Un humain préhistorique moyen pouvait vivre bien en travaillant environ quinze heures par semaine.
Quinze heures par semaine consacrées à la subsistance, cela laisse beaucoup de temps pour d’autres choses. Tellement de temps, qu’il est possible que quelques agités, qui n’avaient pas un bébé dans les parages pour rendre leurs vies plus vivantes, ou pas de talent pour fabriquer, cuisiner ou chanter, ou rien de très intéressant à quoi penser, ceux-là ont pu décider un jour de filer chasser des mammouths. Dès lors, les chasseurs habiles pouvaient rentrer en titubant sous un fardeau de viande, les bras pleins d’ivoire, et avec une histoire. Mais ce n’est pas la viande qui faisait la différence. C’était l’histoire.
[Ursula Le Guin, Théorie de la fiction panier]

Je ne crois pas à ce type de reconstitution. Ou plutôt : je pense qu’elles ne sont que des reconstitutions auxquelles on fait bien dire ce que l’on veut (les masculinistes adorent parler de la préhistoire pour justifier d’une différence de nature entre hommes et femmes qui les rendraient, eux les hommes, « biologiquement » supérieurs). On ne connaitra jamais les causes précises qui ont mené au patriarcat d’une part, et aux codes de narratologie d’autre part (au sens : on peut documenter une évolution, des processus, mais au bout d’un moment, s’il faut remonter jusqu’aux cavernes préhistoriques, il nous faut bien admettre l’évidence : nous n’étions pas là). Et par conséquent, on ne connaitra jamais non plus la nature précise des liens potentiels qui unissaient les deux à l’origine.

Ce que l’on peut faire, en revanche, c’est observer aujourd’hui que le patriarcat existe (tout imbriqué avec d’autres modes de domination, comme le suprématisme blanc ou le validisme), que les histoires ont tendance à mettre en scène des héros qui surmontent des obstacles et en ressortent transcendés. Et partant de là, on peut se demander : qui écrit quel type d’histoire ? Qui sont les autaires de fictions paniers ?

C’est à ce moment-là qu’il est tentant de répondre : Les femmes ! Ce sont les femmes qui écrivent ou essaient d’écrire des fictions paniers !

Et en effet : il y a tout un courant de fictions féministes, qui non seulement sont écrit par des femmes, mais qui parlent de manière engagée de la condition féminine et qui subvertissent par leur seule existence les codes préétablis de la littérature.

Oui sauf que : faut-il conclure qu’il y a une différence fondamentale entre les hommes et les femmes qui pousse les femmes à écrire des fictions d’un autre genre (sans mauvais jeu de mots) ? Ou bien, plus prosaïquement, faut-il observer que selon nos positions dans la société, nous n’avons pas le même pouvoir d’action et donc pas la même possibilité de nous mettre à la place de personnages héroïques qui surmontent les obstacles ?

Personnellement c’est la deuxième hypothèse à laquelle j’adhère. (pour commencer, n’effaçons pas les hommes gay/bi/queer de la SF féministe, j’ai fait exprès plus haut de mentionner Sturgeon et Delany au milieu de Russ et Wittig).

Je crois que, lorsque l’on est marginalisé·e, une histoire héroïque « à la Campbell » peut être distrayante, mais on sait au fond de nous que ces trajectoires-là ne sont pas pensées pour nous (même dans les cas où lo protagoniste nous ressemble en théorie). Je crois qu’en tant qu’autaires marginalisé·es, on peut avoir cette envie d’écrire des histoires qui nous ressemblent : où les personnages ne sauveront peut-être pas le monde, parce qu’iels n’en ont pas les moyens.

Devon Price fait un peu la même constatation (décréter comme féminin quelque chose qui a en fait à voir avec la marginalisation au sens large) au sujet du diagnostic d’Autisme dans son essai « Unmasking autism » que je suis en train de lire :

Depuis des années maintenant, les psychologues et psychiatres discutent d’un « Autisme au féminin ». […]Mais il y a un gros problème avec le concept « d’Autisme au féminin ». C’est une étiquette qui ne permet pas vraiment d’expliquer pourquoi certain·es Autistes masquent leurs caractères autistiques, ou pourquoi l’on ignore leurs besoins pendant des années. […]Les femmes Autistes ne sont pas ignorées parce que leurs « symptômes » sont plus subtils. Même celles qui ont des comportements typiquement autistiques peuvent rester des années sans diagnostic, simplement parce qu’elles sont des femmes et que leurs expériences sont moins prises au sérieux par les professionnels que celles des hommes. De plus, il n’y a pas que les femmes qui sont sous-diagnostiquées. L’Autisme de beaucoup d’hommes et personnes non-binaires est effacé aussi. Il n’est pas neutre d’appeler « Autisme au féminin » la forme d’Autisme la plus discrète et socialement masquée. Cela sous-entend que le masking est une question de genre, voire même de genre assigné à la naissance, et non pas un phénomène plus large lié à l’exclusion sociale. Les femmes n’ont pas un Autisme plus « subtil » du fait de leur biologie ; on ignore l’Autisme des personnes marginalisées en raison de leur position périphérique dans la société.
[Devon Price, Unmasking autisme, introduction, traduction par moi-même]

De manière générale, je crois que si l’on a tendance à qualifier de féminin des choses qui ont plus globalement à voir avec le fait d’être marginalisé, c’est parce que le féminisme est plus audible que, par exemple, le validisme (il ne s’agit pas de hiérarchiser, le fait d’être visible entraine aussi un backlash. Mais de fait, à chaque fois que j’ai parlé de validisme sur un groupe d’inconnu·es, il s’est trouvé une personne pour me demander (en toute bonne foi) une définition. Je n’ai jamais eu à définir le sexisme (ou alors c’est un troll qui demande pour me faire perdre mon temps)).

Je crois que les personnes qui ont envie d’écrire des choses structurellement différentes sont des personnes qui ne sont pas dans la norme sociale, et qui par conséquent n’ont aucune raison de se trouver dans la norme littéraire.

Je crois que si on veut vraiment écrire des histoires par et pour les personnes marginalisées, il faut inventer des structures où les personnages n’ont pas le pouvoir d’action des personnes dominantes. Cela ne veut pas dire qu’il faille les rendre totalement impuissant·es, mais il faut prendre en compte des moyens d’action qui sont autres. S’éloigner de l’héroïsme viriliste.

Voilà pourquoi, comme je l’ai déjà dit en introduction : l’absence d’une littérature freak / antivalidiste / crip m’apparait être particulièrement criante. (D’autant que les liens entre certains handicaps et le gout pour la SF est assez clairement établi : dans son essai autobiographique L’année suspendue, l’autrice Mélanie Fazi explique par exemple que la question « aimez-vous les littératures de l’imaginaire ? » lui a été posée pour établir son diagnostic tardif d’autisme. Du côté anglophone, de nombreuses personnes se penchent sur les liens entre neurodivergence et science-fiction, voir par exemple ce podcast)

La littérature de la marginalité à laquelle j’ai accès est une littérature féministe et/ou queer.

Et j’ai beau adorer la littérature féministe (et queer !), parfois, la réduction de toute la marge au féminin (et parfois aux questions LGBT) me dérange.

Dans le cadre de l’écriture de cet article, je me suis penché·e sur Le bal de folles (j’ai vu le film de Mélanie Laurent plutôt que lire le livre de Victoria Mas), une histoire qui met en scène l’hôpital parisien de la Salpêtrière dans les années 1880.

On y suit une jeune femme, internée là par sa famille parce qu’elle voit des esprits. Elle est jeune, bourgeoise et bien éduquée, belle et mince, blanche. Son nom, au cas où vous n’auriez pas encore compris qu’elle représente l’innocence pure, est Eugénie. Bien sûr : elle est valide.

Comme la plupart des histoires qui mettent en scène des asiles psychiatriques du 19e siècle, l’idée n’est pas tant de parler de la manière dont les personnes handicapées/malades mentales étaient (et sont toujours) traitées : c’est de donner aux féministes d’aujourd’hui un petit frisson horrifique « imaginez si on était nées à cette époque ! On aurait pu nous interner pour la plus insignifiante de nos revendications ! ».

Pendant les deux heures que durent le film, on ne nous épargne pas les tortures auxquelles étaient soumises les femmes de la salpêtrière :

TW violences psychiatriques et viol
bain glacé pendant des heures, pressions sur les ovaires y compris au moyen de fers chauds, isolement dans le noir pendant des semaines, exhibitions des patientes chez qui on provoque des crises (une patiente finit hémiplégique suite à une de ces séances), viols exercés par le personnel médical sur les patientes, les camisoles de force que l’on devine en arrière plan, etc

Du texte, il se dégage quelque chose qui a trait uniquement au féminin :

Victoria Mas : « La folie des hommes n’est pas comparable à celles des femmes : les hommes l’exercent sur les autres, les femmes sur elles-mêmes« 
Mélanie Laurent : « Je crois beaucoup en la sororité, en la douceur que l’ont peut avoir entre femmes et le pouvoir que l’on peut avoir entre nous.« 
[Deux citations extraites de l’article TV5 Monde « Le bal des folles : l’enfer des femmes jadis enfermées à la Salpêtrière »]

L’ennemi n’est pas le corps médical dans son ensemble, ce sont les hommes-médecins qui fixent les règles. Les femmes, elles, sont bien plus réceptives aux peines des patientes. Elles seraient vraiment aimantes si elles n’étaient pas réduites aux postes subalternes d’infirmières avec des médecins qui les forcent à être maltraitantes. Des deux infirmières que l’on nous dépeint, même celle qui demeure une antagoniste est montrée comme torturée : grâce à ces dons, Eugénie entre en communication avec la mère défunte de cette dernière et apprend quelles violences subies l’ont poussée sur la voie sans empathie où elle se trouve. Quant à l’autre infirmière, Geneviève (interprétée à l’écran par la réalisatrice Mélanie Laurent elle-même), c’est une jeune femme sensible, traumatisée par la mort de sa sœur, qui réconforte les malades. C’est grâce à elle et à son sacrifice final qu’Eugénie parvient à s’évader de la Salpêtrière à la fin de l’histoire (elle finit internée à sa place). (NB : dans le livre, le personnage de Geneviève est d’un abord beaucoup plus froid, mais ça ne l’empêche pas de suivre la même trajectoire finale)

Mais plus important encore, la leçon que tire les protagonistes (ce qui pousse Geneviève à aider Eugénie), ce n’est pas qu’il est inhumain de torturer des gens : c’est que les femmes enfermées ne sont pas folles, et qu’il faut donc les libérer. Eugénie n’est pas folle quand elle dit voir des esprits, elle entre vraiment en communication avec les défunts d’une manière qui peut aider les vivants, et il y a des preuves concrètes de son don. Elle est sauvée parce qu’elle est saine d’esprit, et parce que ce qu’elle dit à Geneviève aide cette dernière à faire son deuil (la « libère » d’après ses propres termes).

Au final, tandis qu’elle s’évade,

TW viol et inceste
son amie Louise (qui dans le roman n’a que seize ans, et qui a été internée après avoir été violée par son oncle trois ans plus tôt) se fait violer par un interne dont elle était tombée amoureuse. C’est la toute dernière vision que nous avons de ce personnage dans le film. Quant à Eugénie, elle ne se retourne pas une seule fois sur sa compagne d’infortune. Une fois libérée, c’est à sa sauveuse Geneviève qu’elle fait passer des lettres, pas à Louise

Par ailleurs, je trouve intéressant d’établir des parallèles entre cette histoire et d’autres de la même veine. Il y a notamment énormément de points communs entre Le bal des folles et Stonehearst Asilum (film de Brad Anderson). On retrouve bien sûr les « traitements » qui sont des tortures, mais aussi les gentilles infirmières (qui une fois le méchant docteur parti peuvent vraiment soigner les patient·es), la jeune internée mineure innocente, mais sexualisée qui se lie avec l’héroïne, mais connait une fin tragique qui fait contrepoids au happy-end de cette dernière

TW viol et meurtre
(ici, il y a une tentative de viol qui aboutit à un meurtre, commis cette fois par un des patients plutôt que par un médecin. Dans cette version au moins, l’héroïne est vraiment triste pour son amie)
la réalisation finale que les fous ne sont pas ceux qu’on croit (je trouve cette partie-là mieux gérée dans Stonehearst Asilum qui questionne ce qu’est le soin et ce qu’est le pathologique, ce au-delà des violences patriarcales).

Plus généralement, quand on regarde les œuvres fictionnelles mettant en scène des asiles psychiatriques du 19e siècle, on remarque deux choses :

  • Les tortures infligées aux patientes sont montrées comme inacceptables, car appliquées à des femmes qui ne sont pas folles : quand elles voient des fantômes (Le bal des folles, Dark Shadows) l’histoire prend nécessairement une tournure fantastique où les fantômes existent pour rétablir la sainteté d’esprit des protagonistes. Sinon, les patientes sont des victimes du patriarcat (Stonehearst Asilum, personnages secondaires de Le bal des folles) ou de l’homophobie (comme dans la série Ratched que je n’ai pas voulu m’infliger).
  • Le côté historique instaure une distance avec ce qui nous est montré. On peut consommer ces fictions en pensant « ouf, heureusement qu’on en est plus là », ce qui dispense d’avoir une réflexion sur les problèmes de la psychiatrie moderne (qui est pourtant l’héritière directe des asiles psychiatriques du 19e siècle). Cette distance est accentuée par le fait que les protagonistes sont souvent des femmes issues d’une haute bourgeoisie à laquelle il est difficile de s’identifier : elles parlent bien, vivent selon les codes d’une époque qui n’est pas la nôtre, etc.

NB : L’alternative raciste à ce « heureusement on ne fait plus ça aujourd’hui » est un « heureusement on ne fait pas ça en occident ».

TW racisme et mort d’enfants autistes racisés dans le film ‘Music’ de Sia
C’est ce qui arrive dans le film Music (réalisé par la chanteuse Sia) qui nous montre une jeune adolescente autiste parfaitement prise en charge par toutes les personnes blanches autour d’elle tandis qu’on nous explique que le frère cadet du voisin noir, lui aussi autiste, est mort parce que « en Afrique, on sait pas prendre soin des personnes différentes » et que le voisin asiatique (lui aussi codé autiste bien que ce ne soit pas dit) est battu à mort par son père.

Tout cela a pour conséquence de dépolitiser ces fictions. Il s’agit de créer des sensations fortes plutôt que de s’interroger sur les mécanismes qui pathologisent et maltraitent des patient·es encore aujourd’hui.

Voilà pourquoi j’ai été ravie de découvrir Une femme au bord du temps, de Marge Piercy, qui vient d’être traduit en français par les éditions Goater (merci mille fois pour ça), cinquante ans après la sortie en VO.

J’ai tout de suite été attirée par l’histoire, mais il me restait une interrogation : « c’est un livre qui date des années 70, qui se situe donc dans le passé, est-ce que l’autrice a conscience de l’antipsychiatrie actuelle ? ».

J’ai su que ce livre serait un coup de cœur au moment de lire la préface, dans les rayons de ma librairie :

J’ai été infiltrée sous couverture par des gens qui travaillaient dans les hôpitaux psychiatriques de l’époque afin de pouvoir faire l’expérience des conditions de vie à l’intérieur. Des gens ont risqué leur job pour m’aider. Aujourd’hui, les patient·e·s en psychiatrie sont balancé·e·s dans les rues sans soutien. Nous continuons à droguer, mais nous fournissons peu d’aide psychologique et d’hébergement confortable. Ce n’est pas une amélioration.
[Marge Piercy, Une femme au bord du temps, introduction à l’édition de 2016, p.15]

Je me suis empressée d’acheter le livre (alors que c’est un énorme pavé et que je venais chercher « un livre de poche pas trop gros, pour le train »), et je n’ai absolument pas regretté. En fait, c’est cette lecture qui m’a motivé·e à écrire cet article : enfin, j’avais un contrepoint positif à toutes ces histoires de soin dont j’avais été déçu·e. (Vous l’aurez compris, il va être beaucoup question d’Une femme au bord du temps dans la suite de cet article).

Dans ce roman, on suit l’histoire de Connie, internée de force dans un hôpital psychiatrique par des hommes de son entourage. On suit en parallèle sa vie à l’hôpital, et les visites mentales qu’elle fait dans un futur utopique grâce au concours d’une visiteuse du futur.

Et dans la partie à l’hôpital, les violences psychiatriques sont clairement montrées. Il est question :

  • Du fait que les soignant·es n’écoutent pas les patient·es

Ils disaient que la réticence à être hospitalisé était un signe de maladie, et partaient du principe que vous étiez malade, dans un de ces cercles sans issue.
[Marge Piercy, Une femme au bord du temps, p.30]

  • Du fait que le but de la psychiatrie est la normalisation et le contrôle (il y a des implants cervicaux pour contrôler les émotions des patient·es)

« Vous voyez, nous pouvons déclencher presque toutes les humeurs et les émotions électriquement — la réaction combat-fuite, l’euphorie, le calme, le plaisir, la terreur ! Nous pouvons surveiller et induire des réactions grâce à la radio microminiaturisée sous son crâne. Nous croyons que, grâce à cette procédure, nous sommes en mesure de contrôler les attaques violentes d’Alice et de la maintenir dans un état mental équilibré.
[…]— Pauvre Alice » Sybl secoua la tête. « Elle doit être humiliée ! Imagine faire les yeux doux à ce fasciste juste parce qu’il appuie sur un bouton. »
[Marge Piercy, Une femme au bord du temps, p.181]

  • Toujours sur la psychiatrie comme outil de normalisation, il y a tout un axe sur la thérapie de conversion que subit un des personnages

« Tu vas à l’extérieur aujourd’hui. »
Skip grimaça. « Chez moi avec mes parents adorés. De retour de l’usine où ils m’ont envoyé pour être réparé, pour un essai. Genre, si t’es cassé, fais-le réparer. Si c’est tordu, fait-le redresser. S’il y a des plis, repasse-le.
— Mais du as encore la volonté de les combattre, je le sens.
— Ils ont gagné quelque chose. Je n’ai pas envie de baiser qui que ce soit. Ou d’aimer qui que ce soit. Je ne ressens pas d’amour du tout. Je me sens comme un gros bloc de glace. »
[Marge Piercy, Une femme au bord du temps, p.391]

  • Et, chose extrêmement importante à mes yeux : cela n’oublie pas l’intersectionnalité de la psychophobie avec les autres oppressions, et avec le racisme en particulier. Exit les héroïnes blanches et bourgeoises. Connie (l’héroïne du livre) est hispanique, se sent âgée et grosse, est pauvre. Les violences qu’elle subit, elle les subit en partie à cause de cela : il est question de stérilisation forcée, d’expérimentations médicales ayant causé la mort de son ancien amant en prison, etc.
TW racisme médical
Ils lui avaient enlevé l’utérus au Métropolitan quand elle était venue en saignant après cet avortement et le passage à tabac d’Eddie. Ils lui avaient fait une hystérectomie complète, veine, parce que les internes voulaient de la pratique
[…]Elle avait été frappée par le fait qu’avoir un bébé était un crime — que peut-être ces bâtards qui l’avaient castrée pour s’entrainer, pour s’amuser, avaient eu raison. Qu’elle avait porté un double d’elle-même, et que c’était un crime de naitre pauvre tout comme c’était un crime de naitre marron.
[Marge Piercy, Une femme au bord du temps, p.67 + p.89]

C’est ce qu’ils disent à propos des prisons. Ils ont dit que Claude était volontaire pour [se faire inoculer] l’hépatite. Mais pour un dollar pour jour, en prison, on tuerait son meilleur ami. Parce qu’il n’y a pas d’autre moyen de se faire de l’argent. Tout s’achète à la cantine. Notre famille a des problèmes. On veut une réduction de peine. Ils nous disent qu’on aurait peut-être droit à la liberté surveillée si on coopère. Alors on se porte volontaire.
[Marge Piercy, Une femme au bord du temps, p.379]

Ce sont là des passages qui me semblent nécessaires : non pas que vous deviez absolument les lire, vous personnellement, mais il me semble essentiel que ces questions soient adressées.

Quand je disais plus haut que pathologiser est la première manière d’ostraciser, ce n’était pas seulement pour m’étonner du peu de récits relatif à la pathologisation. C’est aussi parce qu’il y a une réciproque : on ne peut pas parler de pathologisation sans prendre en considération à quel point celle-ci s’inscrit (au moins sous sa forme moderne) dans le suprématisme blanc.

Le validisme s’inscrit aussi dans le patriarcat, mais cet aspect là est plutôt bien mit en avant (je parle ici de ‘Demain la santé’, de ‘L’École des soignantes’, de ‘Une femme au bord du temps’ et de ‘Lecture facile’, ainsi que de l’essai ‘Art queer —Une théorie freak’)

Comme je le disais au début de cette partie, il y a même des fois où les questions de soin sont réduite à des questions de féminisme au point où cela devient presque gênant. (Moi-même, quand je recherche une littérature anti-validiste, j’attends en fait une littérature qui soit crip : c’est-à-dire au croisement entre le queer et l’antivalidisme)

Mais de manière plus générale, les récits qui parlent de soin que j’ai pu intègrent presque toujours des considérations féministes et/ou queer.

Cela ne me semble pas un hasard, par exemple, qu’il y ait eu autant de diversité LGBT dans l’anthologie Demain la santé parue chez la volte : on croise notamment une héroïne qui a deux papa (dans A crocs perdus de Lauriane Dufant), deux personnages non-binaires utilisant le pronom iel (dans Fall de Théodore Koshka et Considère le nénufar de Sabrina Calvo), une femme trans (dans Considère le nénufar de Sabrina Calvo), deux relations polyamoureuses en trio/trouple (dans Les derniers possibles de Chloé Chevalier et Aszgôn de Tristan Bultiaw), et une nouvelle écrite en française (dans Lozapéridole 50mg comprimée pelliculée de Ketty Steward que j’ai déjà interviewée à ce sujet dans mon article sur le neutre en fiction)

Dans L’école des soignantes, de Martin Winckler, l’auteur nous présente un hôpital futuriste et utopique qui abolit la hiérarchie néfaste où les médecin·es écrasent leurs patient·es avec leur autorité de sachant·es (#DixAnsDEtudes). Ce roman est dans la continuité directe du précédent de l’auteur, Le Chœur des femmes, qui dénonçait, dans le contexte d’un service de gynécologie, les violences de celleux que Winckler nomme « les brutes en blanc ». Il y était donc beaucoup question du corps des femmes, des violences qu’elles subissent. C’est aussi l’un des rares romans (en français) à ma connaissance qui parle des violences médicales subies par les enfants intersexes (avec, à mon avis, le Membrane de Chi Ta Wei, dont j’avais parlé sur le site de fantastiqueer)

Aussi, la place des femmes est loin d’être oubliée dans L’École des soignantes. Elle est même un peu trop mise en avant à mon goût (dans une optique de contrer la tendance actuelle qui se préoccupe d’abord du sujet masculin et oublie les femmes, cf. l’endométriose qui n’est toujours pas une maladie reconnue, l’auteur présente l’anatomie féminine comme intrinsèquement plus complexe et plus riche que la masculine, pour un résultat qui se veut féministe mais que je trouve plutôt essentialiste)

Dans le même esprit, la Réforme redéfinit les champs traditionnels de la médecine. Au lieu de fragmenter les soins de manière absurde selon les maladies d’organes (pneumologie, maladies cardiovasculaires, etc.) elle les réorganise selon les particularités, les besoins et situations des soignées. Le pôle Enfants se consacre aux moins de huit ans. Le pôle Physio est voué à la santé des femmes de huit à soixante-huit ans. Le pôle Andro à celle des hommes de huit à soixante-huit ans. Le pôle Ainées se consacre aux plus de soixante-huit ans de tout genre souffrant d’une affection liée au vieillissement. Le pôle psycho accueille toutes les personnes se plaignant d’un trouble émotionnel ou cognitif, quelle que soit l’origine. Les urgences, évidemment, accueillent tout le monde quel que soit le motif.
[Martin Winckler, L’école des soignantes, p.35 : my non-binary ass se demande où où/comment je me soigne dans ce système. Also pourquoi précisément soixante-huit ans ?]

Dans Une femme au bord du temps, l’histoire de Connie à l’hôpital psychiatrique s’accompagne de visites mentales qu’elle fait dans un futur utopique d’où la notion de genre n’existe plus. Il n’y a plus qu’un seul pronom (ol en français, per en anglais) pour toustes, et des accords neutres. Si j’avais une seule microcritique à faire sur ce livre : la société présentée ne s’est séparée de la notion de genre qu’en renonçant à la procréation naturelle (comprendre : personne n’est enceinte, les enfants naissent sous cloche), ce qui essentialiste quand même la notion de genre. De plus cela pousse l’autrice à ramener les individus à leur sexe (entendre : leur entre-jambes) pour les désigner (« Bien sûr que je suis femelle, » dit Luciente à Connie quand celle si s’aperçoit de la présence de ses seins).

« Cela faisait partie de la longue révolution des femmes. Quand nous avons brisé toutes les vieilles hiérarchies. En fin de compte, il y avait cette seule chose que nous devions abandonner aussi, le seul pouvoir que nous ayons jamais eu, en échange de plus aucun pouvoir pour qui que ce soit. La production originale : le pouvoir de donner la vie. Pas’que tant que nous étions enchainées biologiquement, nous ne pouvions pas être égales. Et les mâles ne seraient jamais humanisés afin d’être aimants et tendres. Donc nous sommes touss devenys mères. Chaque enfant en a trois. Pour briser le lien nucléaire.
[Marge Piercy, Une femme au bord du temps, p.148]

NB : Dans la préface, Marge Piercy précise qu’elle ferait les choses autrement si c’était à refaire aujourd’hui.

Comme la plupart des utopies de femme, Une femme au bord du temps est profondément anarchiste et dirigée vers la réintégration des gens dans le monde naturel et vers l’élimination des relations de pouvoir. La famille nucléaire est rare dans les utopies féministes et elle est bannie de ce roman.
La partie qui est probablement la plus controversée de Mattapoisett est la couveuse, étant donné que de nombreuses femmes ont le sentiment qu’elles refuseraient d’abandonner l’accouchement. Si je devais réécrire le livre, j’inclurais un groupe qui aurait choisi l’accouchement réel. Dans mes notes originales, j’en avais l’intention, mais au cours de l’écriture longue et compliquée du livre, je ne l’ai jamais fait.
[Marge Piercy, Une femme au bord du temps, Introduction à l’édition de 2016, p.14]

Hors SFFF, je vous recommande aussi grandement la lecture (vraiment pas facile) du roman de Cristina Morales : Lecture facile. C’est un livre qui parle de mise sous tutelle et d’internement. On y suit quatre cousines qui vivent dans un appartement sous tutelle :

  • La 1ère, Angels, écrit sur wattpad un roman autobiographique en lecture facile (dont on a les extraits), où il est question des années qu’elles ont vécu en institution, pourquoi elles en sont parties et ce que ça leur a couté pour arriver à vivre dans leur appartement sous-tutelle
  • La 2e, Marga, ne supporte plus la tutelle, elle veut avoir son propre appart où elle peut disposer de son corps et de ses biens. Elle rejoint une asso anarchiste qui l’aide à trouver un endroit à occuper/squatter (on la suit grâce au compte rendu de ladite asso)
  • La 3e, Nati, est une danseuse qui a été initialement internée qq. temps avant la fin de sa thèse (ça ressemble à un burnout mais c’est jamais dit). Elle est en colère contre le fascisme qu’elle voit partout (ce qui la rend extrêmement fatigante, surtout qu’à force d’aller trop loin tout le temps elle dit pas mal de merde aussi, elle voudrait que tout le monde se révolte comme elle et ne respecte pas que des fois les gens ne le font pas car le risque est trop grand, mais en même temps… ben dans le fond elle a raison) (On suit son histoire via une narration classique romanesque + un fanzine qu’elle a rédigé)
  • La 4e, Patricia (la sœur de Nati) essaie de faire tout comme on le lui demande pour ne pas perdre encore plus de libertés (On suit son pdv par les dépositions qu’elle fait auprès d’une juge qui doit statuer sur « faut-il oui où non stériliser Marga de force ? »)
C’est glaçant parce qu’on ne connait le handicap d’aucune des quatre (on nous dit que Nati à un « syndrome des portillons » mais ça n’existe pas et la description est fantaisiste, sinon Angels est bègue, Patri a une myopie dégénérative, et Marga donne dans l’exhibitionnisme (ce qui ressemble plus à un symptôme qu’à une cause), c’est tout), par contre on voit très bien les intérêts financiers des gens (famille ou professionnels) qui décident de les placer ici ou là. Et on voit très bien comment leur quotidien est anormal : couvre-feu, obligation de faire des factures pour tout en faisant passer les bières en « boisson » pour ne pas perdre en autonomie, l’existence même d’une procédure de stérilisation forcée, interdiction de déménager, le fait que toutes les opinions de Nati soient traitées comme des symptômes de son handicap etc.

Dans tous les cas, il me semble que si une SF antivalidiste émerge, il y a de grandes chances qu’elle soit aussi féministe et queer : les théories crip, d’ailleurs, sont nées du mariage entre antivalidisme et théories queer. J’attends juste de voir la SF s’aventurer sur ce même chemin.

J’aurais aimé trouver des pistes en ce sens, mais je n’ai trouvé qu’un essai de Renate Lorentz qui parle d’art contemporain plutôt que de science-fiction. Dans Art Queer – une théorie freak, l’autrice nous présente une série d’œuvres en analysant pourquoi selon elle, elles relèvent d’un « drag radical » qu’elle qualifie de freak.

Une théorie freak/y (1) remettre en cause les frontières séparant la vérité du mensonge et celles séparant le savoir légitime du savoir douteux. Elle pourra modifier (2) les règles de l’intelligibilité à travers une nouvelle division du pouvoir et être développée sans autorisation. Elle pourra être produite par, et parler de, certaines subjectivités « déviantes » sans identités (3) et être par conséquent capable de relier diverses représentations de la sexualité et du genre à d’autres discours et axes de pouvoir.
[Renate Lorentz, Art queer —Une théorie freak, p.51]

Pour moi, parler de violences médicales et de validisme en oubliant le racisme qui est le terreau de ces violences fait partie de ces angles morts qui deviennent vite problématiques.

Le validisme était une question de hiérarchie raciale : les hommes blancs étaient supposés être neurotypiques et « de haut niveau ». S’ils ne l’étaient pas, c’est parce qu’ils étaient racialement sous-développés. En conséquence, le nom initialement donné par John Dawn pour désigner le syndrome de Dawn (trisomie 21) était « idiotie mongolienne ». […]En 1866, le physicien italien Cesare Lombroso affirmait que l’on pouvait prédire la criminalité d’une personne en se basant sur sa structure osseuse faciale.
Au 20e siècle, cette idée d’un comportement innée a perduré grâce aux gènes : les blancs étaient « supérieurs » parce qu’ils avaient de meilleurs gènes. Lewis Terman était d’accord avec les scientifiques du 19e : pour lui aussi la criminalité était innée, mais elle s’expliquait grâce à un bas QI plutôt qu’aux caractéristiques physiques. Les eugénistes comme lui considéraient que la hiérarchie sociale existait grâce à l’intelligence innée : les élites devaient refléter la supériorité biologique de la population. Il voulait que les États-Unis identifient les citoyens « faibles d’esprit, à l’intelligence trop basse pour mener une vie digne » et les détiennent/stérilisent afin de « préserver la race ».
[Traduction d’un post instagram de @alokvmenon, compte rendu de lecture de The Mismeasure of Man, de Stephen Jay Gould]

Par exemple, dans la nouvelle La génitrice, de Judith Pradal, l’autrice essaie de critiquer une société eugéniste dans laquelle les enfants nés naturellement finissent par être considéré·es comme handicapé·s car ne bénéficiant pas des « meilleurs gènes ». L’ennui, avec ce lore, c’est qu’il est aussi impliqué que l’intelligence est un produit de la génétique, ou bien est induite de manière hormonale (dans tous les cas, cela part du principe que l’intelligence est un vrai concept et pas une construction visant à créer une hiérarchie entre celleux qui en disposeraient et celleux qui en seraient dépourvus)

Malgré les progrès en génétique, les chercheurs n’avaient pas réussi à créer (ou du moins, n’étaient-ils pas autorisés à le dire) une chaine de gènes où les défauts ne compensaient pas les qualités volontairement inoculées. La juge en était la preuve, puisque les hormones qui avaient boosté son intelligence et sa mémoire avaient inhibé son empathie et la féminité de ses traits.
[Judith Pradal, La génitrice, En situation de handicap… dans le futur p.158]

Pourtant, en dehors d’Une femme au bord du temps, il n’y a que peu de romans qui me viennent en tête qui traitent de l’intersection racisme/validisme :

  • L’incivilité des fantômes, de Rivers Solomon, qui met en scène un vaisseau spatial sur lequel la hiérarchie entre les hauts-ponts (peuplé de personnes blanches) et les bas-ponts et lié à du racisme entremêlé d’autres choses : sur les bas-ponts, les personnes ne sont pas seulement noire, elles sont aussi majoritairement intersexes (à cause de perturbateurs endocriniens présents dans leur environnement au même titre que d’autres polluants qui les rendent malades) et neuroAtypiques (en raison notamment des traumatismes subits). [Voir l’article dédié]
  • Hors SFFF, Eau douce de Akwaeke Emezi, qui raconte l’histoire quasi-autobiographique d’Ada, qui parvient à échapper à ses traumas en échappant à l’imaginaire psychiatrisant (et/ou chrétien) posé sur sa personne par les médecins/autorités blanches, et en se reconnectant à sa culture Igbo. [Voir article dédié]
  • Dans Le premier siècle après Bétrice d’Amin Maalouf (dont j’ai personnellement lu un extrait dans l’anthologie (Pro)créations parues chez Glyphe), on nous présente une société qui a mis au point une pilule permettant aux parents de choisir d’avoir un garçon. On voit bien, alors que les personnes qui traitent cette innovation en disant « c’est pour le tiers monde, là où les gens sont misogynes et préfèrent avoir des garçons alors que nous en occident sommes au-delà de ça, le féminisme a triomphé chez nous » ont tord.
  • On pourrait ajouter (mais c’est vraiment parce que la liste est courte et que cette série est top) la trilogie de La Terre fracturée de NK Jemisin, qui ne parle pas directement de validisme mais qui parle de discrimination de manière assez vaste et juste pour qu’il soit possible de faire une lecture antivalidiste du texte, en plus de la lecture antiraciste

Le problème avec les mondes sans maladies

(Et pourquoi il est important de se poser la question de la dichotomie normal/pathologique)

D’une manière générale, dans beaucoup de fictions qui parlent de soin, le handicap reste un impensé. Or, sans grande surprise, hélas, quand on ignore un axe d’oppression, on finit par dire des choses oppressives (pas exprès, certes, but still).

À ce compte, un des tropes qui personnellement m’agace le plus (au sens où je n’ai à ce jour aucune idée de s’il est possible de l’aborder correctement) est celui de créer un monde sans maladie, sans handicap. Cela peut sembler désirable, à première vue, mais ça ne l’est pas. Je vais ici m’attarder sur pourquoi.

Dans Dans la forêt, de Jean-Charles Vidal, une façon de guérir toutes les maladies du monde a été découverte (selon des modalités sur lesquelles je vais revenir ensuite parce que ça mérite aussi un développement). Mais les gens qui appliquent cette « méthode » s’épuisent à la tâche sans comprendre pourquoi, jusqu’à ce qu’ils réalisent ceci :

Les gens que vous voyez en théra ils sont guéris. Ils sont même guéris depuis longtemps. Oui, oui, je sais ce que vous allez me dire : ils se plaignent toujours de ci ou de ça.  D’ailleurs si on vous les envoie, c’est qu’ils sont malades et diagnostiqués comme tels.
Mais en fait non. […] La vérité, c’est qu’on a toujours mal. Ou plutôt on atteint jamais la félicité »
[Jean-Charles Vidal, Dans la forêt, Demain la santé p.388]

Or, une part du validisme repose sur le fait qu’on ne croit pas les patient·es quand iels expliquent leurs difficultés ou douleur. Aussi, cette nouvelle ne fait au final que donner du crédit à ceux qui pensent pouvoir dire « untel fait semblant d’être handicapé/malade ».

[Ça nourrit] le mythe que « les gens qui font semblant d’être handicapés, c’est un problème de société ». Et c’est faux en fait. […] En dehors de tout le harcèlement [qu’un tel mythe peut occasionner] tous les aménagements, toutes les aides, tous les outils dont on a besoin pour vivre dignement au quotidien sont beaucoup plus difficiles d’accès. Parce que c’est sur la base de ces croyances-là que les institutions, les entreprises, le personnel médical, etc. nous mettent volontairement des bâtons dans les roues pour nous empêcher d’accéder à nos droits, sous prétexte de « filtrer les faux handicapés ».
Or, les personnes handicapées qui ont besoin de ces aides-là et de ces droits-là, mais qui ne peuvent pas les avoir parce qu’elles ne peuvent pas passer les barrières qu’on a mises pour filtrer les « vrai » des « faux » handicapés : j’en rencontre tous les jours.
[extrait de la vidéo « Faux handicapés ? » sur la chaine H Paradoxae]

Le truc c’est que : déjà, faire disparaitre les souffrances n’est pas un objectif en soi, au sens où ce n’est pas atteignable (on peut seulement tendre à les réduire au maximum). De fait, les récits que je connais qui présentent des sociétés libérées de la souffrance finissent souvent par devenir des dystopies hygiénistes peu subtiles (cf. Harmony de Project Ito que j’avais déjà évoqué dans mon article sur les utopies que l’on n’atteint pas, dans la partie dédiée aux utopies inhumaines). À ce titre, je préfère largement une utopie telle que celle proposée par Marge Piercy dans Une femme au bord du temps, où les gens apprennent à gérer leurs problèmes plutôt que de les éliminer.

« Nous avons essayé d’apprendre des cultures qui géraient bien la résolution de conflits, la promotion de la coopération, la maturité, le développement d’un sentiment de communauté, la maladie, la vieillesse, la folie, la mort…
— Ouais, et vous devenez quand même fous. Vous tombez quand même malades. Vous vieillissez. Vous mourrez. Je pensais que dans cent cinquante ans, certains de ces problèmes auraient été résolus, au moins !
— Mais Connie, certains problèmes ne sont résolus que si l’on cesse d’être humayns, que l’on devient métal, plastique, un ordinateur robotique. Est-ce que mourir est en soi un problème ? »
[Marge Piercy, Une femme au bord du temps, p.175]

Mais au-delà de ça, même en partant du principe qu’il soit possible de faire disparaitre toute forme de souffrance, ce n’est pas ce que Dans la forêt propose : le texte propose de faire disparaitre toute maladie, sans prendre le temps de décrire ce qu’est une maladie.

De fait, la souffrance n’a pas totalement disparu de la nouvelle : sinon les gens arrêteraient d’aller consulter (Et ne me dites pas « oui mais les hypocondriaques ? » > Si toutes les maladies ont disparu, logiquement, y’a plus d’hypocondrie non plus)

On en vient donc à ce qui est pour moi le cœur du problème avec ce trope : pour dire que toutes les maladies ont disparu, il faut partir du principe qu’il y a une limite nette entre le normal d’une part, et le pathologique d’autre part. Or cette délimitation nette n’existe tout simplement pas. Il y a une zone floue au milieu de laquelle les institutions médicales tracent une ligne arbitraire (qui évolue au fil du temps).

Vouloir faire disparaitre toutes les maladies, c’est donc aussi faire disparaitre tout ce qui est dans la zone floue : la nouvelle ne précise pas où elle-même place la frontière entre le sain et le pathologique, elle dit juste que le pathologique n’existe plus.

[On se débarrassait] de sa grippe, de son arthrose, de sa pancréatite.
[…] Les PG ne guérissaient pas uniquement les maladies virales ou microbiennes. Les dégénératives ou les auto-immunes aussi. Les cancers. Les maladies orphelines. Tout, de fait, sauf la mort elle-même.
[Jean-Charles Vidal, Dans la forêt, Demain la santé p.369]

Aussi je ne pense pas extrapoler beaucoup en disant que le monde que nous propose Jean-Charles Vidal n’est pas seulement sans maladie, mais aussi sans handicap.

Ici, un exemple de comment ce trope d’un monde sans maladie peut virer carrément raciste quand c’est vraiment mal fait

Par ailleurs, puisqu’on parlait de l’intersection entre validisme et racisme un peu plus haut : l’idée d’un monde « sans maladie » peut également ressembler au fantasme d’un monde blanc.

Dans A l’intérieur d’Orchid Naakey, de Sylvain Palard, on rencontre également des personnages capables de tout guérir. Pour éprouver ce talent de guérison, le héros décide de tirer sur sa compagne guérisseuse (déjà, bon, j’vais pas commenter le virilisme de ce texte, cet article est déjà bien assez long comme ça. Mais sachez que la nouvelle commence avec une mission de sabotage qui consiste à exterminer un troupeau d’une quarantaine de vaches, et que les personnages se donnent du cœur à l’ouvrage à base de « Faut toutes se les faire. Les veaux aussi. Si on en laisse on va passer pour des branques. Pires, des faibles. Faut envoyer un message. » Bref, ça donne le ton)

J’arme. Je dégomme Margo pleine tête, sous le front, son crane éclate de sang, de cervelle et d’os, elle s’écroule. Orchid je lui tire dans le ventre, au nombril. Elle aussi s’écroule.
Soigne ça.
Soigne ça et je te croirai.
[Sylvain Palard, A l’intérieur d’Orchi Naakey, Demain la santé p.221]

Le héros a de la chance, Orchid est capable de guérir ça, en fait, elle guérit de tout, et c’est formulé de cette manière :

La peau d’Orchid rayonne d’or et de feu. Ses yeux brûlent, deux flammes orange. Ses vêtements ont disparu, elle respire, nue, brillante comme un soleil. Ses tresses noires devenues jaunes scintillent comme une queue-de-paon, éclatées en étoile jusqu’au plafond. Ses bras et ses jambes, ses seins, son sexe sont moulés en elle, sur elle, d’une seule pièce, dans une enveloppe humaine qui lui ressemble sauf qu’elle est parfaite.
[Sylvain Palard, A l’intérieur d’Orchid Naakey, Demain la santé p.222]

Sur le moment, face à cette parodie sexualisée de Super Sayen, j’ai explosé de rire. Sauf que quelques pages plus loin, j’ai compris qu’elle n’avait pas seulement changé de couleur de cheveux, mais aussi de peau, et que pour résumer : elle était devenue blanche.

[Ma fille] n’a rien dit pour ma peau. Elle a trouvé mes yeux plus beaux — moi je les trouve trop clairs — et mes cheveux, classe.
[Sylvain Palard, A l’intérieur d’Orchid Naakey, Demain la santé, p.228]

Soudain les mots « dans une enveloppe humaine qui lui ressemble sauf qu’elle est parfaite » ont prit une autre tournure : « parfaite », « guéris de tous les défauts », pour l’auteur ça ne veut pas seulement dire « faire disparaitre quelques cicatrices », ça semblait aussi vouloir dire « être blanc·he ».

Et bon, étant blanche moi-même je suis toujours un peu mal à l’aise à faire ce genre de critique : mais là il me semble qu’on n’a pas besoin d’un master décolonial pour conclure que c’est raciste.

Or, sans même parler de toutes les populations susceptibles de disparaitre d’un monde « sans maladie » parce que leurs façons d’être étaient pathologisée il y a encore peu de temps (rappel que la transidentité n’a été retirée du DSM que depuis 2019), un monde sans handicap, c’est un monde sans moi.

Vous comprendrez je pense aisément pourquoi l’idée ne me botte pas.

Pour en savoir plus, voir la vidéo Un monde sans handicap ? d’H-paradoxae, qui donne les raisons pour lesquels un monde sans handicap n’est pas souhaitable, au-delà du fait que c’est de toute façon un « idéal » impossible à atteindre :

  • Le handicap fait partie de nous, de la façon dont on appréhende le monde (d’une manière qui n’est pas forcément intrinsèquement douloureuse, même s’il existe bien sûr des douleurs chroniques causées directement par le handicap). Vouloir supprimer le handicap c’est comme vouloir nous supprimer nous, c’est nous dire « je rêve d’un monde où les gens comme toi n’existent pas… ou bien où on les force à souffrir plutôt que d’avoir l’air handicapé ». C’est super violent.
  • Ça alimente l’idée que le handicap est quelque chose de fondamentalement affreux, non seulement pour soi mais aussi pour les proches. Ce qui contribue à augmenter les violences subies par les personnes handicapées qui vont accepter plus facilement qu’on les maltraite parce qu’elles s’estiment déjà chanceuses que quelqu’un veuille bien d’elles.
  • Ce qui serait intéressant, c’est de s’occuper de diminuer les souffrances, pas le handicap. Et parfois ces deux objectifs sont opposés (ex : utiliser des aides à la mobilité type fauteuil roulant donne l’air plus handicapé, mais diminue les douleurs et augmente l’autonomie. Donc si notre but est de diminuer les souffrances, on va en prescrire. Si à l’inverse notre but est de diminuer le handicap on va forcer les gens à s’en passer quand bien même cela nuit directement à leur santé)
  • Au final, ça nourrit une pratique de la médecine qui a d’abord pour objet de normaliser les corps

Du côté des nouvelles qui essaient de critiquer cette idée d’un monde sans handicap, on peut citer L’échappée, de Romane Le Dain. Dans ce texte, on nous présente un futur transhumaniste où des implants ont permis de faire disparaitre les handicaps physiques. Mais il demeure les handicaps psy, et de plus, tout le monde n’a pas envie d’être implanté. Ce que montre la nouvelle, c’est que les volontés politiques qui veulent supprimer le handicap ne sont pas humanistes, elles sont libérales/capitalistes : le but, c’est d’avoir une population productive et de ne pas avoir à assurer la subsistance de personnes qui ne peuvent pas travailler.

Pourtant, il y a ceux pour qui on ne peut rien, ceux que les technologies ne guériront pas les personnes comme Ysaure, avec son autisme Asperger. En attendant que la technique évolue, le gouvernement compte sur la générosité des proches pour les accueillir, davantage, et sur un réseau associatif pour ceux qui n’ont personne chez qui être hébergés.
Il y a aussi les récalcitrants. Ceux qui, comme moi, ont finalement dit non à leur greffe, à leur prothèse, à leur implant, qui font craquer l’apparence humaniste de ce progrès.  Ceux-là, leurs choix individuels, quelles qu’en soient les raisons, ne pèsent pas lourd face à l’urgence de trouver une parade à  un système social moribond. […]Comment serait-il possible de rejeter […] la possibilité de redevenir productif ?
[Romane Le Dain, L’échappée, En situation de handicap… dans le futur p.125]

Mais ce que j’aime encore plus trouver, ce sont des histoires qui se mettent sur la limite floue entre le normal et le pathologique, et qui questionnent : c’est quoi vraiment, un handicap ? (ce, au-delà de la question déjà évoquée plus haut des maladies construites pour appuyer d’autres oppressions : l’hystérie pour pathologiser les femmes, l’homosexualité et la transidentité conceptualisées comme des maladies mentales, le racisme médical, etc.)

Heureusement, ce type de nouvelle existe !

Il y a au moins deux tentatives (maladroites) de faire cela dans l’anthologie En situation de handicap… dans le futur :

  • Dans Banal, de Céline Thomann, les personnes handicapées peuvent accéder à des implants qui les rendent plus performantes que les valides, si bien que les deux catégories finissent par s’inverser (en vrai j’aime pas trop les histoires à base de « et si les oppressions s’inversaient », mais voilà)
  • Dans La couleur du handicap, de Romain Tribalat, les radiations ont handicapé la population entière (les gens se retrouvent castés en fonction de la nature de leur handicap, ce qui ne fait pas grand sens étant donné qu’il y a souvent des comorbidités qui mettent les gens à cheval entre plusieurs types de handicap, mais bon). Dans ce contexte, nait malgré tout une personne conçue pour être valide. Mais elle est si différente des autres qu’elle ne s’intègre pas et finit par être handicapée par sa validité même.

Il y a aussi la nouvelle Et je lui donnerai pour nom Emmanuel, de Jean-Pierre Fontana (dans l’anthologie (Pro)créations) qui montre une femme jugée malade par toute la société parce qu’elle décide de tomber enceinte dans un monde où ça ne se fait plus.

On pourrait également parler de A crocs perdus de Lauriane Dufant (dont je reparlerais plus loin), et de Fall de Théodore Koshka (qui dépeint le quotidien d’une psychologue humaine dans un cabinet alien, et qui montre des situations relationnelles complexes sans les pathologiser… ou alors en pathologisant la psy du même coup, ce qui revient un peu au même).

Mais dans le même recueil que ces deux textes (Demain la santé) j’ai surtout envie de parler de Lozapéridole 50mg comprimée pelliculée de Ketty Steward. Le texte se déroule dans un futur plutôt dystopique (ascendant eugéniste, où un certain nombre de maladies sont détectée in-utéro pour permettre aux parents d’avorter. Je cite « On naissait donc en meilleure santé ou on ne naissait pas » p.512). La protagoniste principale est une entendeuse de voix dont le médicament (le fameux Lozapéridole qui donne son nom à la nouvelle) arrive en rupture de stock. Au fur et à mesure du texte, les voix reviennent donc lui parler. Mais est-ce bien grave ?

Mais moi ? Je ne vais pas si mal, après toute.
[Ketty Steward, Lozapéridole 50mg comprimée pelliculée, Demain la santé p.533]

La maladie comme métaphore

(Et pourquoi réduire la maladie à une sorte de punition ou de symptôme d’un grand Mal est une mauvaise idée)

Une autre façon d’effacer les problématiques propres au soin (dont le validisme est indissociable, selon moi) est de se servir de la maladie comme d’une métaphore pour parler d’autre chose.

C’est particulièrement visible dans la nouvelle Aszgôn de Tristan Bultiaux. Dans ce texte, il est en vérité question du monde qui va mal, du capitalisme. Le message est « ce monde est tellement dur qu’il nous rend malades » comme elle pourrait dire « ce monde est tellement dur que c’est comme vivre avec une chape de plomb sur la tête ».

Sauf que si j’écris une nouvelle mettant en scène une ville entièrement construite sous une énorme chape de plomb brulante que les personnages s’épuisent à maintenir suffisamment en hauteur pour qu’elle ne les
écrase pas tout à fait : on comprend que ça ne peut être qu’une métaphore. Si je prends des libertés sur la « réalité » de ce qu’est « vivre dans une ville écrasée sous du métal lourd » : ce n’est pas grave. Car personne ne vit dans ce genre de ville. Ce qui laisse plus de marge de manœuvre à la licence poétique qui privilégie la symbolique/les émotions à la véracité/cohérence interne.

Mais quand on utilise la maladie comme métaphore, on s’ajoute une difficulté supplémentaire en cela que les gens malades : ça existe pour de vrai ! Aussi, le texte devra être réaliste sur les deux plans de la comparaison : celui du comparé (la société capitaliste) et celui du comparant (la santé).

Dans Aszgôn on nous présente une société futuriste d’où la maladie a été éliminée, ce qui, comme on vient de le voir, n’est déjà pas l’idée du siècle.

En l’occurrence, il n’y a pas de traitement qui guérit tout, mais une évolution due à un changement de paradigme social (le capitalisme est mort, la maladie aussi).

« Non, Aszgôn. Ce genre de symptômes — la toux qui te secoue, les douleurs persistantes, l’anhédonie, l’émoussement affectif — a bel et bien disparu avec les derniers A-vides. Leurs vaisseaux transstellaires ont emmené les derniers spécimens de tumeurs malignes et de ce qu’on appelait alors des maladies psychiques. Des maladies de l’immanence, provoquées par un certain type d’existence qui n’est plus le nôtre. On ne les soignait qu’à grand peine et on ne les guérissait que rarement, par des médications. Malgré leurs lourds effets secondaires, ces traitements chimiques ne contraient qu’imparfaitement ces maux aux origines mal comprises.
— Avons-nous conservé la connaissance de ces médications ?
— Oui, mais jamais nous ne les utilisons. Elles étaient issues des mêmes paradigmes qui coupaient les A-vides de leur Terre et de leurs semblables. »
[Tristan Bultiaux, Aszgôn, Demain la santé p.412]

La suite de la nouvelle se présente comme un conte philosophique sur la génération d’après : celle qui n’a jamais connu la maladie et la souffrance, et qui « du coup » peine à trouver un sens à sa vie (ce qui les rend malades à nouveau).

Oh, Combattants ! Vos enfants ne veulent pas de joie. Vos enfants ne veulent pas être
préservés de la souffrance. […] Vos enfants ne veulent pas la Santé, ni l’Abondance. Vos enfants veulent du sens.
[Tristan Bultiaux, Aszgôn, Demain la santé p.428]

Et qui le retrouvent en redécouvrant la mort.

Aszgôn, Aszgôn, retrouve-la ! Retrouve la mort et sauve les enfants des cigales !
[Tristan Bultiaux, Aszgôn, Demain la santé p.453]

Sauf que si « la mort fait partie de la vie » me semble un plutôt bon message dans l’absolu, dans la mesure où on va toustes mourir (donc c’est pas une mauvaise idée de faire la paix avec ça) et que personne
dans la vraie vie n’utilise cet argument pour tuer en mode « ah bah maintenant ou plus tard, tu vas pas faire un drame parce que j’ai décidé de t’assassiner tout de suite ! » (enfin, même si en l’occurrence c’est
exactement ce que fait le personnage principal qui tue un de ses deux amoureux pour les besoins de sa démonstration, ce que je trouve… glauque ?)…

« CIBLE HUMAINE ACQUISE. QUARANTE-SEPT MÈTRES. MODE D’EXÉCUTION NUMÉRO QUATRE-VINGT-ONZE PRÉCONISÉ. »
Lorsque Amarogk
explosa dans une gerbe carmine, traçant un motif quasi-symétrique sur
la neige et l’humus, Prastaa détala dans la forêt, vif comme un
écureuil. […] Daedalion contemplait, mutique, la tache de sang laissée
par Amarogk. Sa mâchoire tétanisée tentait d’articuler quelque
chose, un mot, qui pourrait expliquer une brutalité aussi intraduisible.
Ou était-il ?… Sa vie ?…
« Il est mort, mon amour, mon beau Daedalion. C’est comme cela que ça s’appelle. Il est mort. »
[Tristan Bultiaux, Aszgôn, Demain la santé p.457]

… je trouve qu’il faut faire attention à la manière dont on dit « la souffrance fait partie de la vie. » En fait, c’est un des problèmes récurrents (selon moi) des récits qui parlent de soin : ils essaient d’aller jusqu’au bout de leur critique, et se faisant perdent la subtilité qui est nécessaire pour ne pas jeter les handicapé·es par dessus bord.

En l’occurrence, l’auteur veut ce me semble critiquer le fait que l’on traite la souffrance comme quelque chose qu’il faudrait éviter absolument, ce quand bien même elle est inévitable (sans compter toutes les personnes qui ont des douleurs chroniques et dont les vies n’ont pas moins de valeur que celles des autres). Mais on devrait pouvoir dire « la souffrance fait partie de la vie » sans pousser l’idée jusqu’à la rendre absurde « la souffrance est essentielle à la vie, au point que sans souffrance la vie n’a pas de sens ».

En fait, j’ai peur qu’une telle banalisation de la souffrance aggrave certains problèmes plutôt que de nous aider à faire la paix avec nos peines :

  • L’errance diagnostique peut durer plusieurs années, parce que l’on dit aux personnes handicapées qu’elles « s’écoutent trop » et que « c’est normal d’avoir mal » (y compris pour des maladies super courantes comme l’endométriose)
  • Les violences domestiques sur les enfants peuvent être « justifiées » parce que « faut bien leur apprendre » et « une bonne torgnole, ça n’a jamais fait de mal à personne » (spoiler : si) et « c’est comme ça, c’est la vie »

La douleur.
La douleur neuve.
* !*
Nouvelle.
7/10
*!**!**!*
[…]8/10
C’est donc cela, exister ?
*!**!**!**!**!**!**!**!*
[Tristan Bultiaux, Aszgôn, Demain la santé p.429]

Le problème ici selon moi, c’est que l’auteur essaie d’utiliser la santé pour avoir une réflexion philosophique abstraite sur le sens de la vie, ce qui n’a rien à voir avec la santé. C’est ce qui le conduit à dire :

Voilà. La Maladie du Vide est une Maladie… de l’immanence… Une Maladie phénoménologique… Elle se développe lorsque la quête n’existe plus. Lorsque l’horizon est voilé. Lorsque la dopamine se tarit.
[Tristan Bultiaux, Aszgôn, Demain la santé p.449]

Ça pourrait marcher dans un contexte encore plus ancré dans le conte, avec une espèce non humaine qui ne connait qu’une unique maladie (la Maladie du Vide). Sauf qu’ici on a un ancrage réel. On nous présente la
situation initiale comme notre futur. Et on n’hésite pas à nous parler de molécules (pour « faire scientifique », je suppose) : sauf que si l’héroïne est malade à cause d’un manque de dopamine, il suffisait de lui en injecter, nan ?

Quant à « la Maladie du Vide », elle désigne en fait… toutes les maladies du monde. Au départ, on nous parle plutôt de maladies psychiques (comme la dépression), mais ensuite on constate aussi que l’héroïne n’a aucun mal à survivre seule dans la forêt quand elle décide de s’y rendre en ermite (alors qu’elle n’avait jamais chassé avant, qu’elle n’a jamais appris à conserver des provisions périssables en pleine nature sauvage, et qu’elle aurait du chopper au moins une intoxication alimentaire ou un rhume, j’sais pas, un truc). De plus, on nous parle aussi explicitement de son cancer, qui disparait grâce à son « sain retour à la vie sauvage. »

Le cerveau d’Aszgôn distilla à nouveau un peu de dopamine, vitale. Les tumeurs dans ses poumons cessèrent de se développer.
[Tristan Bultiaux, Aszgôn, Demain la santé p.444]

Pour moi, cela fait écho à un trope de la « nature vivifiante » qui ne date pas d’hier : Dans Heidi (Johanna Spyri, 1880) la jeune Clara retrouve l’usage de ses jambes grâce à son voyage à la montagne, dans Le jardin secret (Frances Hodgson Burnett, 1911) il arrive la même chose au jeune Colin alors qu’il découvre le jardin secret de sa mère (déjà à l’époque, l’industrialisation était donnée comme responsable de tout un tas de maux, et on prêtait donc au grand air des vertus curatives, c’est l’époque où on envoie les tuberculeux dans des sanatoriums loin dans la campagne)

Or s’il est vrai que notre environnement (et donc le capitalisme) a une influence sur notre santé, ça ne veut pas dire que notre mode de vie est seul responsable de l’ensemble de toutes les maladies qui existent.

Comme le disait Susan Sontag dans son essai « La maladie comme métaphore » :

Nous sommes en quête de métaphores capables d’embrasser le mal « extrême » ou « absolu » Mais les métaphores sur le cancer sont toutes minables. Les individus réellement atteints de la maladie en question ne sont guère aidés lorsqu’ils entendent constamment citer le nom de celle-ci pour représenter le mal. […] Et la métaphore du cancer est particulièrement grossière. Elle constitue invariablement une incitation à simplifier ce qui est complexe, elle est un appel à la complaisance morale, quand ce n’est pas au fanatisme.
[Susan Sontag, La maladie comme métaphore, p.110. L’autrice rappelait aussi, p.94, que « L’opinion largement répandue qui fait du cancer une maladie de la civilisation industrielle est aussi peu fondée sur le plan scientifique que le phantasme d’extrême droite d’un monde sans cancer (entendre subversion) »]

Bref, le problème pour moi ici, c’est que la nouvelle semble parler de santé, mais ce n’est qu’un prétexte pour parler d’autre chose.

À propos de l’essai ‘La Maladie comme métaphore’ de Susan Sontag, je parle ici de ‘Ethique de la gravité’ et de sa réflexion méta sur le thème

À propos de La Maladie comme métaphore : je suis presque sûre que Lise N. l’a lu avant d’écrire son Éthique de la gravité (bien que je n’arrive pas à savoir si le texte est écrit en opposition ou en continuité de celui de Sontag)

Je m’explique : Dans La maladie comme métaphore, Susan Sontag parle de la façon dont la société se saisit des maladies pour en faire des discours, des métaphores qui parlent de tout autre chose que de la santé (en se concentrant en particulier sur la tuberculose et le cancer. Un deuxième opus Le SIDA et ses métaphores traite pour sa part, comme son nom l’indique, plus spécifiquement du SIDA)

Mon propos n’est pas la maladie physique en soi, mais l’usage qui en est fait en tant que figure ou métaphore. […] C’est à l’élucidation de ces métaphores et à l’affranchissement de leurs servitudes que je consacre cette enquête.
[Susan Sontag, La Maladie comme métaphore, p.11]

À propos du cancer, elle explique notamment que l’imagerie associée est celle de la guerre :

Tel qu’il est compris, le cancer doit être traité avec […] une brutalité admise. Comme le souligne une plaisanterie courante dans les milieux hospitaliers, entendue aussi souvent dans la bouche des médecins que dans celle des malades, « le traitement est pire que la maladie. » Pas question de choyer le malade. Son corps étant soumis à ce que l’on juge être une attaque (« une invasion », le seul traitement consiste à contre-attaquer.
Les métaphores qui s’imposent dès que l’on parle du cancer sont tirées de fait [du vocabulaire] de la guerre.
[Susan Sontag, La Maladie comme métaphore, p.11] p.86]

Or, dans Éthique de la gravité le personnage (qui a un cancer du sein) a répondu à un

appel à représenter la maladie dans un autre monde, un monde où les frontières entre le normal et le pathologique n’existeraient plus.
[Lise N., Éthique de la gravité, Demain la santé p.598]

Une idée ambitieuse donc (et très enthousiasmante, à mon avis)

En l’occurrence la nouvelle vision proposée semble être : une inversion pure et simple du paradigme.

Traiter la maladie comme un monstre dévorant n’a jamais été d’une quelconque efficacité, souligne l’infirmière attentive. D’aucune efficacité. Si ce n’est de médicaliser la société en la désignant comme un grand tout pathogène. Cette rhétorique puissante […] n’a eu d’autre conséquence que d’assommer des malades de plus en plus nombreux, luttant de mal en pis contre une adversité extrêmement diffuse, au gré des discours probabilistes des médecins. Et si la maladie était une entité à protéger, à chérir, à cajoler ? Il est temps de tisser une relation intime et affectueuse avec l’opacité qui siège en votre sein.
[Lise N., Éthique de la gravité, Demain la santé p.600]

Je pense que le parallèle avec l’analyse de Susan Sontag est assez transparent : la même observation (il y a un vocabulaire guerrier autour du cancer qui n’est pas très aidant pour les malades) à partir de laquelle Lise N. cherche à établir autre chose (une nouvelle métaphore, où la maladie est quelque chose de positif).

Mais Sontag ne parlait pas de la maladie physique en soi et de comment guérir. Elle parlait du vocabulaire associé et des métaphores (souvent déplacées) que cela nous fait écrire (quand on dit « la société est malade » pour dire qu’elle va mal, comme le fait Aszgôn). Mais pour changer la métaphore, il faut changer le rapport au soin (puisque la métaphore s’appuie sur les connaissances que l’on a de la maladie et des méthodes mises en place pour la soigner). Pour changer la métaphore, il fallait donc changer la façon dont on soigne.

Si je suis emballée par l’idée de changer le rapport au soin, les nouvelles façons de traiter les patient·es ne m’ont hélas pas convaincu (trop dans la culpabilisation, sans compter l’aspect « féminin sacré » qui me crispe autant que ça crispe l’héroïne du récit) : en effet, on explique à la patiente que pour guérir il lui faut d’abord apprendre à aimer sa tumeur, que cela est une question de volonté (de la même manière qu’on dit actuellement « il faut que tu te battes » ).

C’est aussi la patient·e qui porte la responsabilité des violences médicales réduites à un « kink » à déconstruire (ce qui me laisse une drôle d’impression : en vrai la réaction des patient·es face à des soignant·es à l’écoute est plutôt de l’ordre du soulagement, je n’ai jamais vu quiconque souhaiter le retour des « brutes en blancs », comme les appelle Martin Winckler)

Il serait bon qu’elle émancipe une fois pour toutes de l’emprise qu’exerce sur elle le fantasme d’une médecine froide et paternaliste.
Voire d’une médecine cruelle et inhumaine, ajoute un soignant. Je n’aime pas trop la tonalité de ses délires oniriques, avec ces robots malfaisants, ces chirurgiens pervers, ces injections sans consentement et tout le tralala… elle tourne en rond et nous avec ! Je ne vois pas trop où cela peut nous mener.
[Lise N., Éthique de la gravité, Demain la santé p.608]

C’est là que je ne sais pas si la nouvelle a été construite en opposition (dans une optique démonstration par l’absurde : « évidemment que les métaphores sur la maladie sont guerrières, les patient·es ne vont quand même pas être content d’être malades ») ou dans la continuité (avec une volonté de proposer un autre modèle qui aurait ses avantages et ses inconvénients, genre utopie ambiguë) de l’essai de Susan Sontag.

Dans les deux cas, il s’agit là d’un texte intéressant, et très méta (qui en dit plus sur l’image de la santé que sur la santé elle-même) !

Autre exemple : L’Immaculée Conception, de Catherine Dufour, parle de l’absurdité des régimes, et des projections que l’on fait sur la vie des femmes. Prometteur, donc. Mais le texte, une fois lancé sur ses rails, oublie un peu l’aspect santé pour se concentrer sur la satyre.

On nous présente d’abord Claude, une jeune femme qui a pour unique trait de caractère de manger des raviolis en boite tous les jours.

Dans l’ensemble, elle n’avait pas grand-chose pour elle […] Claude ne s’intéressait à rien et n’intéressait personne, même pas elle-même
[Catherine Dufour, L’Immaculée conception, L’accroissement mathématiques du plaisir, p.67, aka la première page de ladite nouvelle]

Au début du texte, elle se rend chez le médecin pour la visite annuelle, et ce dernier lui prescrit un régime complètement éclaté (à base de « se nourrir exclusivement de haricots verts ») qui ne lui réussit pas du tout :

Un mois plus tard, elle avait trois kilos de moins, des vertiges, le ventre ballonné par la colite et le moral en déconfiture. Par contre, elle n’avait plus ses règles.[…]Claude passa encore un mois dans les flatulences et les malaises. Son ventre gonflait tandis que ses bras maigrissaient, elle attrapa des vergetures sur les hanches et des plaques sur le visage. Aimablement, sa voisine de clavier lui conseilla une crème à l’ADN concentré qui provoqua une éruption carabinée.
[Catherine Dufour, L’Immaculée conception, L’Accroissement mathématique du plaisir, p.70]

Suite à cela, elle retourne chez le médecin qui lui annonce qu’elle est enceinte.

À ce stade, je m’attendais à une critique du monde médical qui croit tout savoir mieux que ses patient·es qu’il ne prend pas la peine d’écouter : il aurait suffi d’interroger Claude pour savoir que l’hypothèse d’une grossesse est impossible (Claude n’a jamais de relations sexuelles).

Mais plus la nouvelle avançait, plus je me disais que ça devenait un peu gros : comment pratiquer une IVG (même ratée) sans s’apercevoir que la patiente n’est PAS enceinte ? De fait, on finit par apprendre qu’il y a effectivement un bébé en chemin (on dirait une « blague » grossophobe de type « haha elle est tellement grosse on dirait elle est enceinte », mais premier degré).

À partir de là, le texte donne dans l’humoristique (enfin je crois, moi j’ai pas ri, mais bon) : il ne s’agit plus de parler de parler du système médical, il s’agit de pousser jusqu’à son paroxysme d’absurde les violences subies par une femme suite à un régime forcé (on ne lui épargne rien, ni l’IVG ratée, ni les douleurs, elle perd même une dent et se retrouve à boire de la javelle).

Quand l’enfant nait, il est handicapé.

Polymalformations. […]« …aucun pronostique n’est possible à ce stade, un retard mental est, hélas, à peu près sûr, mais certaines anomalies physiques pourront être corrigées au fur et à mesure de la croissance »
[…] Claude attrapa au vol la dernière phrase du docteur. Elle se retint de lui rire au nez. Il n’y aurait aucune correction possible. Il y aurait un retard mental massif. Et aucun médicament n’en était la cause. Ça était une malédiction, pas un petit homme rose, joufflu, fessu, babillant et bourré de promesses. Rien d’autre qu’une erreur d’ovaires trop seuls, un démon en forme d’hélice ADN mitée, un poids, un poids éternel…
[Catherine Dufour, L’Immaculée conception, L’Accroissement mathématique du plaisir, p.132]

Ce qui me dérange, c’est qu’au même titre que dans Aszgôn où les maladies n’étaient plus des maladies mais un symptôme du capitalisme, dans L’Immaculée conception le handicap n’est plus un handicap mais un symptôme des violences sexistes/grossophobes.

Or c’est là une idée dangereuse, parce qu’elle déshumanise. Et je ne suis même pas en train d’extrapoler sur « cela pourrait mener à une déshumanisation » : il est assez explicite que la nouvelle ne considère pas le bébé comme une personne. Pour commencer, il n’a même pas de nom. Sa mère l’appelle « Ça ». Ensuite, sa mère veut le tuer. Elle n’a aucun doute à ce sujet, ou bien un seul : il lui faut trouver une méthode pour que « le Monde me plaigne au lieu de m’enfermer chez les folles criminelles » une fois le meurtre commis (méthode qu’elle finit par trouver, en faisant accuser le voisin).

Elle tue cet enfant parce que son handicap est montré comme une preuve qu’il ne devait pas exister. Et en même temps, l’expérience la fait grandir : après avoir tué son gosse, elle commence enfin à s’affirmer dans son travail, rencontre un homme, tombe enceinte à nouveau (mais de manière standard, cette fois). L’enfant n° 2, lui, sera aimé. Parce que Claude veut bien un enfant, s’il est « normal » (au sens issu de circonstances normales, et au sens valide, parce que la nouvelle associe les deux).

« Ce n’est pas toi le Coupable. Le Coupable, c’est le Monde. Depuis A comme Aricot vert jusqu’à R comme régime. Tu ne devrais pas être là, tu ne devrais plus être là depuis longtemps, tu n’aurais jamais dû y être. C’est le Monde qui a fait Ça et c’est toi qui payes. Moi, j’ai déjà payé. On est du genre qui paye, nous deux. Du genre dont personne ne veut. Un jour, j’aurais un enfant, très beau, et il deviendra plus grand que moi, je lui offrirais une radio quand il sera petit et il me promènera en voiture quand il sera grand. »
[Catherine Dufour, L’Immaculée conception, L’Accroissement mathématique du plaisir, p.140]

Remplacer la médecine

(Ou comment les critiques légitimes des institutions médicales/pharmaceutiques peuvent mener à promouvoir la pseudo-science)

J’ai déjà évoqué dans la partie sur la prépondérance du féminisme qu’il y avait dans les institutions médicales et psychiatriques de vraies violences qu’il était important de dénoncer. Des romans comme le diptyque Le Chœur des femmes/L’école des soignantes ou Une femme au bord du temps excellent à montrer ses violences et à les dénoncer, tout en proposant des manières alternatives et plus humaines de soigner.

Seulement, les critiques faites à la santé ne peuvent pas être totales, dans le sens où malgré leurs défauts, on a quand même besoin de la médecine (pas l’institution, mais la possibilité de prendre soin de nous et de nos corps).

Pour donner un exemple : les opérations chirurgicales des parties génitales ne sont pas intrinsèquement mauvaises. Il y a des personnes trans qui veulent y recourir, et c’est très bien qu’elles le puissent. Le problème, c’est que ces opérations ne sont pas seulement pratiquées sur des personnes trans qui en font la demande. Elles sont pratiquées aussi sur des enfants (voir des bébés) intersexes, sans recueillir leur consentement (ni d’ailleurs celui de leur parent), sans qu’il y ait d’exigence vitale et sans ce soucier des séquelles physiques et psychologiques que des chirurgies lourdes peuvent laisser. Or altérer des organes sains, sans autre raison qu’une vision normative de ce à quoi devraient ressembler les hommes VS les femmes, ce n’est plus du soin, c’est de la mutilation. Et il faut le proscrire.

Il y a un équilibre à trouver : montrer les failles (qui sont parfois inscrites dans les fondements mêmes des institutions médicales) et cependant ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain.

Or toutes les histoires n’y parviennent pas. Il y a en particulier un glissement que je trouve intéressant à observer : quand la défiance mène à un rejet de toute science.

Dans la nouvelle A l’interieur d’Orchid Nakeey, de Sylvain Palard (dont j’ai déjà parlé dans la partie sur les mondes sans maladie) le personnage est un scientifique de formation. Pourtant, il déclare :

— J’en ai marre des analyses. Je fais que ça depuis cinq ans – dix, presque, si je compte mes études. Je suis arrivé à ma limite, scientifiquement parlant. Je préfère ne pas savoir. Je veux du concret, je veux voir.
— Y’a rien de plus concret que la science…
— C’est pas pareil. C’est des chiffres.
[Sylvain Palard, A l’intérieur d’Orchid Naakey, Demain la santé p.216]

Il y a énormément à dire sur cette déclaration seule, à commencer par l’opposition qu’elle fait entre le savoir/les sciences d’un côté, et le concret de l’autre. C’est cette idée qu’on ferait mieux de croire nos sens, oublieux du fait qu’ils peuvent nous tromper, et que l’on retrouve dans toutes les théories complotistes. Par exemple, les gens qui défendent que la terre est plate le font avec l’argument que « on voit bien à l’œil nu que l’horizon est une ligne droite » : que ce soit une question d’échelle, que tous les calculs prouvent que les faits sont contre eux (y compris ceux qui ont envoyé des gens dans l’espace où ils ont pu de leurs yeux contempler la rotondité de la Terre)… tout cela ne les intéresse pas. Ce ne sont « que des chiffres » (sous entendu « qui pourraient être inventés de toute pièce).

Évidemment, le fait que la méfiance vis-à-vis de la médecine se traduise par un rejet plus global des sciences n’est pas sans conséquence sur la teneur des nouvelles.

Dans A l’intérieur d’Orchid Naakey », cela se traduit par une vision anti-vacc. Au début, j’ai cru à une maladresse : après tout, l’Univacc (pour « vaccin universel ») que s’inoculent (chaque jour !!) les « inoculés » et que combattent les protagonistes n’a rien à voir avec un vaccin (il remplace le système immunitaire au lieu de l’aider à se renforcer).

« Chez les inoculés, les hybrides de l’Univac ont remplacé les micro-organismes dans la chaine du vivant — les microbes, les bactéries, les parasites, les champignons — naturellement présent dans le corps humain ou dans son environnement immédiat, mais aussi chez tous les autres êtres vivants – animaux, végétaux, et cætera. Ils ont brisé l’équilibre. […] C’est ça qui provoque les crises qui tuent les non-inoculés intra-muros, ceux qu’on a appelés les non-vacc. Nous, êtres humains, vivons en symbiose avec nos bactéries, notre microbiote, mais aussi – et c’est le sujet des études que nous menons au LGBC – en relation avec le microbiote des autres espèces vivantes — toutes les autres espèces — qui ont elles aussi leur microbiote, qui vit lui-même en relation avec le nôtre. […] C’est ce que nous avons oublié, négligé en créant en vaccin universel. »
[Sylvain Palard, A l’intérieur d’Orchid Naakey, Demain la santé p.199]

Je m’étais dit « c’est dommage il suffisait de ne pas appeler ça un vaccin, de renommer l’Univac en Unimed ou Unipill », mais depuis les vaccins contre le covid sont arrivés sur le marché, et j’ai eu l’occasion d’analyser la pensée anti-vacc qui auparavant me demeurait lointaine. Or la désinformation sur la manière dont les vaccins fonctionnent est à la base de l’idéologie anti-vacc : ceux qui refusent de se faire vacciner le font en disant préférer laisser leur système immunitaire se défendre par ses propres moyens (ignorant que le vaccin vient justement activer le système immunitaire afin qu’il soit « entrainé » quand surviendra la vraie menace). Par ailleurs, le fait que les non-vacciné·es doivent se « protéger » des vacciné·es est une idée que l’on retrouve également dans les mouvements anti-vacc IRL : on voit des profils d’ex-anti-masques se mettre à en porter pour se protéger non pas du virus mais des gens vaccinés (source).

Les idées présentées dans le texte nourrissent donc parfaitement (que ce soit à dessein ou non, telle n’est pas la question) les théories anti-vacc.

Ce sans compter que, rejet des sciences oblige, la solution pour « guérir de la vaccination » (ça me tue d’écrire ça) est : la magie (une magie toute puissante, dominante même, puisqu’il est acceptable de l’utiliser sans le consentement des patient·es à qui on fait croire qu’on donne un « vrai médicament » qui n’est en fait qu’un placebo).

— [Quand les gens tombent malades, ils] viennent me voir à la Croix-Rouge […] je leur donne des médicaments — des placebos — je les touche un coup pendant l’auscultation et ils repartent guéris et contents. La grippe on s’en fout, c’est rien, des centaines je te dis. Alzheimer, sclérose en plaques, Parkinson, cancer du côlon, du sein, ça, ça paye, voilà à quoi elles servent, mes mains, à quoi elles doivent servir.
[…] L’infus — l’inné — c’est un organe invisible, intérieur et extérieur, attaché à l’âme, à l’imagination et au corps, un liant, une dimension supplémentaire, un septième sens, qui nous enveloppe, nous protège, nous définit.
[Sylvain Palard, A l’intérieur d’Orchid Naakey, Demain la santé p.215-217]

Dans l’autre texte que je mentionnais dans la partie sur les mondes sans maladie, Dans la forêt de Jean-Charles Vidal, cette idée d’une guérison magique revient également : il suffit d’un simple contact pour que les « porteurs de guérison » (ou PG pour les intimes) guérissent tout.

Que je t’explique : avant les maladies [c’était] un autre être humain qui te passait ses miasmes en douce, l’air de rien. L’ennemi c’était l’autre.
[…] La maladie, c’était du lien social. Une sorte de.
[…] Et pour guérir, c’était le grand festival de la chimie organique, des tripatouillages plus ou moins génétiques, des scalpels qui cisaillent la masse pour essayer d’en extraire le noyau du mal.
[…] On a changé tout ça.
Avec une découverte anodine : certains patients étaient « bien entourés » et guérissaient plus vite. Beaucoup plus vite. Sans aucune aide médicale parfois.
[…] Ce qu’il y avait d’énorme, c’est que ces rémissions venaient de l’entourage. Il ne s’agissait pas du traditionnel esprit-qui-influe-sur-le-corps ou Dieu sait quelles âneries néo-new age mâtinés de sagesse ancestrale. Non. Ce que ça impliquait, c’est que dans cet entourage se trouvaient un ou plusieurs porteurs sains. Porteurs sains de guérisons.
[…] Retenons simplement qu’à laisser le malade et le porteur de guérison (PG) dans la même pièce quelques heures, ou au pire quelques jours, on se trouvait avec un type guéri et un porteur de guérison encore « actif ».
[Et] contrairement à ce que semble indiquer mon introduction, les PG ne guérissaient pas uniquement les maladies virales ou microbiennes. [Il guérissaient] tout, de fait, sauf la mort elle-même.
[Jean-Charles Vidal, Dans la forêt, Demain la santé p.365-369]

Le point notable dans cette nouvelle (outre que le postulat ne tient absolument pas la route scientifiquement, et qu’on est pas dans un registre de type conte/absurde/comique/autre qui motiverait le choix de prendre ces libertés), c’est que les PG n’ont pas de vocation particulière qui ferait que leurs pouvoirs sont liés à une capacité d’écoute. Bien au contraire, la plupart d’entre eux détestent devoir guérir les autres.

À l’époque, j’étais en théra à mi-temps ; il y avait bien assez de PG dans le secteur pour que je puisse faire autre chose que tenir la main à des bronchiteux et ça me permettait de bosser un peu en plus. Pas pour l’argent — on était très bien payés — mais parce que les malades, c’est toujours un peu saoulant, surtout à cause de leurs grands yeux de bébés phoques débordants de gratitude. Comme si on avait vraiment le choix.
[Jean-Charles Vidal, Dans la forêt, Demain la santé p.374]

Quelque part, je comprends qu’il y a une volonté là derrière de se distancier des « âneries néo-new age mâtinés de sagesse ancestrale » qui séduisent parce qu’à défaut de soigner, elles prennent le temps qu’il faut pour écouter les patient·es ; Or, c’est une chose qu’explique très bien Martin Winckler dans son roman Le Chœur des femmes : parfois la raison pour laquelle une personne vient consulter n’est pas LA vraie raison pour laquelle elle vient consulter. Et c’est ok.

Tout ceci laisse une impression que les manquements d’une médecine pilotée par le capital ont été observés, mais que l’analyse de ces manquements (et de ce qu’il faudrait faire pour réparer) est plutôt, disons, floue.

Ce qui m’aurait intéressé, personnellement, c’est trouver des textes plus dans la lignée de ce qu’à voulu faire Chloé Chevalier dans Les derniers des possibles : une médecine qui, même quand elle manque de moyens, n’oublie pas la part humaine (écoute, bienveillance, consentement, temps) nécessaire à tout processus de soin. Ce que les membres du Collège de Médecine Autonome refusent, ce ne sont ni les médicaments ni la science, c’est l’autorité hiérarchique qui place les soignant·es au-dessus des patient·es. Quand des patient·es tentent des remèdes ubuesques, l’héroïne s’agace de leur manque de rigueur ET n’oublie pas de demander pardon de s’être emportée :

Afin de soigner les vomissements de leur tout-petit, ils ont pris l’habitude d’ajouter un verre de gnôle dans son lait, « pour désinfecter » comme ils l’ont entendu conseiller par je ne sais plus qui, un jour, au marché. Katia tempête, les traite de bouseux incultes, et menace de confisquer l’enfant s’ils ne font pas l’effort de mieux se renseigner.
« Tu fatigues » l’avertit Esther quand elle sort en claquant la porte.
[…]« Je ne sais pas si je fatigue… Ma patience flanche, parfois, mais le cœur est toujours là. »
Katia rentrer dans le bâtiment, pour présenter ses excuses aux parents mortifiés et les aider avec le petit.
[Les Derniers possibles, Chloé Chevalier, p.109]

J’ai aussi bien aimé Fall, de Théodore Koshka à ce niveau : parce qu’on y voit une psychologue dans l’exercice de ses fonctions, dont le rôle est d’écouter et guider ses patient·es quand bien même elle n’approuve pas forcément leurs choix.

Herbst soupira en se rappelant que ce n’était même pas Polichronis qui avait choisi de faire appel à elle mais que c’était les services de son école qui l’avait sans doute dirigé·e vers son cabinet. Et probablement parce qu’elle était humaine, non à cause de ses mérites. N’importe quel psy terrien non habilité à soigner tous les êtres doués d’intelligence aurait convenu. Ah ! Mais ce n’était pas le moment de se laisser aller à ce genre de considérations mesquines et orgueilleuses bon sang ! Elle était au service de son·sa patient·e. Quelle que soient les circonstances de leur rencontre, elle l’aiderait.
[Fall, Théodore Koshka, p.540]

Par ailleurs, l’idée d’intégrer des la magie / de la spiritualité / des croyances dans le soin n’est pas une mauvaise chose en soi, comme le prouve Une femme au bord du temps de Marge Piercy.

Ce n’est pas facile de trouver l’équilibre où donner une place au spirituel sans pour autant rejeter ce qui est rationnel. Mais je ne crois pas que tout ce qui a trait au spirituel soit à jeter : malgré tout, il y a une part de nous qui demeure intérieure, secrète, et que le rationnel ne pourra jamais totalement appréhender. Mais du coup, c’est une magie qui ne peut pas être celle que décrivent A l’intérieur d’Orchid Naakey et Dans la forêt : spectaculaire et brute, qui agirait exactement comme la médecine mais sans « effets secondaires », et en passant au-dessus de la réalité (chiffrée). C’est une magie intime.

— Les gens de ton époque me laissent perplexe, car ols n’ont pas l’air d’avoir ni une intra-connaissance forte ni d’être tournéys vers l’extérieur. Sauf dans les couples.
[Marge Piercy, Une femme au bord du temps, p.175]

Au final, la spiritualité trouve sa place dans la société utopique d’Une femme au bord du temps, parce qu’avant toute chose, les personnages ont le choix : le savoir technique leur est accessible, on les incite à s’écouter (à avoir cette fameuse intra-connaissance de soi qui permet de mieux se tourner vers l’extérieur), et sur cette base là, chacyn peut décider librement ce qui lui convient le mieux, sans qu’une autorité extérieure impose UNE manière universelle de faire les choses.

« Comment quelqu’un peut s’intéresser au vaudou et à la médecine ? Ça n’a aucun sens !
— Chacyn est senséy de manière différente, non ? Comment pourrait-il en être autrement ?
[Marge Piercy, Une femme au bord du temps, p.220]

Cette liberté de choix, y compris dans la prise (ou non) de médicament, est aussi ce qui fait de Lozapéridole 50mg comprimée pelliculée de Ketty Steward ma nouvelle préférée du recueil Demain la santé : Dans le texte, le médicament que la protagoniste avait l’habitude de prendre arrive en rupture de stock. Au début, elle panique, et puis sa vie continue. Elle arrive à la conclusion qu’elle peut choisir de vivre sans son médicament de la même manière qu’elle avait choisi de vivre avec.

Je sais qu’il y a un stigmate fort qui vise les personnes qui, comme la protagoniste de Lozapéridole 50mg comprimée pelliculée, entendent des voix. Il y a une forte injonction faite aux personnes psychotiques à prendre des médicaments antipsychotiques, ce en dépit de leur consentement : parfois, en fonction des personnes, les effets indésirables peuvent surpasser les effets désirés (sans compter qu’il faut voir qui décide quels effets sont désirés ou pas), et on devrait laisser à chacun·e le choix de peser le pour et le contre.

« À ton époque, je crois que les gens parlaient d’effets et d’effets secondaires, mais ça n’a aucun sens.
— Comment ça ? Par exemple, quand je prends de la Thorazine, les effets sont de pouvoir me contrôler, de me rendre à moitié morte, mais ça me fait plein d’effets secondaires, crois-moi, comme mal à la gorge et… constipation, étourdissement, élocution bizarre.
— Mais Connie, ma fleur, ce sont tous des effets ! »
[Marge Piercy, Une femme au bord du temps, p.377]

Bref : ça faisait du bien d’avoir une nouvelle qui ne juge pas comme bon/mauvais (et encore moins intrinsèquement bon / intrinsèquement mauvais) le fait de prendre ou non des médicaments.

Par ailleurs, sur l’aspect médicaments et industrie pharmaceutique, j’aimerais profiter de cet article pour vous recommander l’excellente série Dopesick, réalisée par Danny Strong d’après l’essai de Beth Macy : Dopesick : Dealers, Docteurs, et la compagnie pharmaceutique qui ont rendu l’Amérique accro.

C’est une série tirée de faits réels, qui parle de la crise des opiacés aux États-Unis autour du médicament « oxycontin » (à base d’oxycodine) commercialisé par Purdue Pharma à la fin des années 90. C’est une série que j’ai trouvée très juste sur de nombreux points.

En particulier, elle fait très attention à s’attaquer au vrai cœur du problème (la publicité mensongère et la corruption) plutôt que de tout rejeter en bloc : en effet, il aurait été contreproductif de rejeter tous les opiacés : comme la série l’explique, ils peuvent s’avérer utiles pour traiter des douleurs aiguës (il est mentionné à plusieurs reprises que Purdue s’est appuyée sur la bonne réputation de son précédent comprimé à base d’oxycodone, prescrit pour les soins palliatifs du cancer, pour promouvoir l’oxycontin). Le problème ici, ce n’est pas la molécule en elle-même, c’est toute la publicité mensongère qui a été faite autour, affirmant qu’elle n’était pas addictive alors qu’elle l’est très fortement (comme tous les autres opiacés), c’est la corruption des membres de la FDA (chargée de valider les notices de médicaments aux USA) qui a permis que soit approuvée la mention « non addictif » à la base.

De plus, la série n’oublie pas la raison même qui fait que les mensonges se propagent : ils ont un fond de vérité qui fait que les gens, sans être ni bêtes ni méchants, ont envie d’y croire.

La série nous montre que la stratégie de Purdue reposait sur un argumentaire de type « il faut prendre en compte les douleurs chroniques » (ce qui est vrai) et qu’ainsi, ce qui donnait de la puissance à Purdue était le fait que les gens VOULAIENT qu’on leur prescrive de l’oxycontin.

Un peu plus sur les personnages de ‘Dopesick’, parce que cette série est cool

Dans la série, on suit plusieurs personnages sur plusieurs temporalités : des dirigeants de la famille Sackler qui possèdent Purdue Pharma à une jeune mineuse lesbienne qui devient accro après qu’on lui ait prescrit de l’oxycontin pour gérer une douleur causée par un accident de travail, en passant par son médecin, le commercial ayant promu la molécule auprès du-dit médecin, une employée de la DEA ayant tenté une première fois de faire tomber Purdue Pharma autour de l’an 2000, et deux procureurs qui ont, quelques années plus tard, tout fait pour s’attaquer pénalement aux Sackler.

Une grande force de la série pour moi c’est qu’elle n’est pas manichéenne. Je veux dire : souvent un reproche que je fais aux œuvres qui dénoncent le système, c’est qu’elles sont tant en colère qu’elles échouent à rendre réalistes les motivations des antagonistes (dont on ne comprend pas les motivations et qui apparaissent comme des caricatures genre « Sauron en costard »). Là, tous les personnages sont crédibles, et la plupart sont pleins d’ambiguïtés :

  • On voit bien par exemple comment les commerciaux se mentent à eux-mêmes. Quant aux Sackler, ils sont à la fois totalement déconnectés des réalités dans leur bulle de fric (et leurs décisions font sens via le prisme déformant à travers lequel ils voient le monde). Ils ne pensent qu’au profit et en même temps, ils ont tellement d’argent qu’il ne signifie plus grand-chose, et ils sont libres de se voir comme les philanthropes qu’ils ne sont pas.
  • Point extrêmement important aussi : les personnages qui sombrent dans l’addiction sont toujours présentés comme des victimes (et potentiellement comme des boucs émissaires), jamais comme des losers.
  • J’aime bien aussi qu’on nous montre des personnages (comme le médecin) qui ne sont absolument pas véreux, qui veulent vraiment bien faire, mais qui malgré tout commettent des erreurs et doivent ensuite les reconnaitre et vivre avec leurs conséquences.
  • Aussi je trouve intéressante l’évolution de certains personnages comme les parents de la mineuse lesbienne qui, d’abord très homophobes, font ensuite tout pour tenter d’aider leur fille dans son addiction

Bref il n’y a aucun personnage qui est présenté comme « intrinsèquement mauvais parce que c’est dans la nature humaine d’être des trous du cul ».

La mort des faibles

(Et comment le capitalisme veut se débarrasser de toustes celleux qu’il ne peut pas exploiter)

Le capitalisme ne sait pas quoi faire des plus faibles : c’est un système qui vise à produire, et l’on ne produit pas quand on est trop malade, trop handicapé, trop vieux…

Alors le validisme se niche là : dans cette volonté qu’a le capitalisme de trouver des manières de rendre les « faibles » utiles… ou de se débarrasser d’elleux.

En introduction à cette dernière partie, j’aimerais parler de la nouvelle de Lauriane Dufant : A crocs perdus, parce que c’est un texte où un des personnages, Deshin (un ado handicapé, bien que le mot ne soit jamais utilisé), finit par être utilisé pour améliorer la vie d’une autre adolescente handie, Skuld (qui est aveugle et a des os de verre).

Au sujet de Deshin, il y a dès le début une ambiguïté autour de son humanité/animalité, au point que je me suis demandé s’il n’était pas une sorte d’hybride entre une mère humaine et un père (dont on n’entend après tout jamais parler) félin.

Ce ne fut qu’une fulgurance. Pourtant, cela dura assez pour voir pointer de sous son abri les reliefs d’un museau humain, dirigé droit devant lui, observant sa camarade ainsi qu’un rongeur au sortir d’un terrier, comme s’il reniflait la menace.
[Lauriane Dufant, A crocs perdus, Demain la santé p.255]

Il y a tout un sous-texte autour de l’antispécisme qui laisse entendre que Deshin est bel et bien le chat (enfin un moment il est « un chiot dans un carton » et on le compare à un « rongeur » dans l’extrait ci-dessus, mais bref la plupart du temps c’est aux chats qu’on l’associe) que les autres voient en lui : la postface, p.662, parle de « la guérison symbiotique de Skuld l’adolescente et Deshin le chat ». Mais on apprend p.272 que Deshin fêtera ses seize ans à l’automne, c’est un peu vieux pour un matou adolescent (que l’on désigne parfois comme « l’enfant »). Sans compter sa force physique et le volume sonore de ses cris.

Surtout : le personnel de la Broussaille envisage de guérir Deshin de sa différence, au moyen d’abord d’une « insémination de protozoaire mutagène », puis de sa mise en binôme avec Skuld. Or qui irait reprocher à un véritable chat de ne pas parler ? De ne pas aimer l’eau ? Qui veut guérir un chat de sa… félinité ?

— Avant d’arriver ici… à pas se montrer, à pas parler. Est-ce qu’on a déjà essayé de le guérir ?
— Pas à notre connaissance. Il… fait partie de ces entre-deux dont le traitement dépend en grande partie des adultes autour de lui. S’ils ont décidé qu’il était bien tel quel, on n’y touche pas, et s’ils décident qu’il faut changer, il faut le faire.
[Lauriane Dufant, A crocs perdus, Demain la santé p.261]

Ça ne colle pas.

Je crois que Deshin est simplement un adolescent autiste : il ne parle pas, il a des spécificités sensorielles qui le rendent sensible à la lumière, aux couleurs, à la texture des vêtements, au contact de l’eau sur sa peau, il frétille quand il est content, il ne regarde jamais dans les yeux… C’est peut-être trop personnel comme interprétation, comme je suis moi-même autiste et que j’ai tout un tas de comportements, en privé, qui font dire à ma copine « t’es vraiment un chat ».

Ça touche un peu trop près. Sauf que la comparaison animalière ne vient pas ici de personnages qui aiment Deshin y compris dans ses spécificités, mais d’un personnel médical qui échoue à le comprendre et le maltraite (est-ce bien nécessaire de faire prendre une douche tous les trois jours à un ado pour qui ça relève de la torture ? Est-ce que y’a pas d’autre façon de le laver à sec pour limiter les bains ?)…

Et seul toujours, par cycles de soixante-douze heures, Nayyirah l’obligeait à se laver, déclenchant sans faillir une sirène dans tout l’établissement.
« Qu’est-ce que c’est ? avait interrogé Skuld la première fois qu’elle avait entendu les cris.
— C’est l’crado qu’on nettoie. Y braille comme ça dès qu’on le mouille. »
Ah. Skuld n’avait rien demandé de plus. Elle était restée silencieuse près de Silène, à écouter le hurlement continu qui imprégnait les couloirs de ses échos, à compter les secondes durant lesquelles bramait l’alarme. Quelque trois cents. De quoi passer un savon puis rincer.
« T’as pas d’bol d’être tombée sur lui, franchement. Moi j’dis qu’c’est pas curable, c’qu’il a. Y prend une place pour d’autres qui en auraient b’soin. C’est qu’une plaie ».
[Lauriane Dufant, A crocs perdus, Demain la santé p.253]

Dans tout ça, il y a bien une tentative (que je salue) de parler du modèle social du handicap (en tant que condition qui échappe à la dichotomie « malade versus bien-portant·e » et qui nécessite une adaptation de la société (accessibilité, aménagement, etc.) plutôt qu’une guérison à proprement parler.

La Broussaille était ce genre de clinique de la dernière chance. […] Leurs portes ne s’ouvraient qu’aux dépossédés, ceux qui ne se targuaient pas d’être malades, mais juste différents, sans que la société leur reconnaisse la place qu’ils auraient pu avoir. Bâtards d’un système trop binaire, clivant les sains et les mal-sains.
[Lauriane Dufant, A crocs perdus, Demain la santé p.256-258]

Sauf que ça ne marche pas, car les protagonistes ont beau dire « ce serait bien de ne pas forcer Deshin à changer », iels le changent quand même.

À la toute fin du texte, l’opération qui devait aider les deux ado échoue. On ne sait jamais vraiment ce qui aurait dû se passer, mais au final le corps de Skuld meurt, et les deux esprits se retrouvent dans le corps de Deshin, ce qui permet à celui-ci de parler et donc de se faire entendre :

Deshin la regardait elle en était convaincue il la regardait lui qui n’avait jamais regardé personne et répéta
« Deshin ! Desh- » découvrant enfin qu’à cet instant ce n’était pas le garçon qui pleurait et que ces pupilles-là mouillées de terreur, pleines de désespoir incrédule, ne lui appartenaient pas.
« M… Ma… Kura… » articula sa voix, rauque de quinze ans sans paroles, clouées de sanglots.
[…]« Oui, je suis là. Tout va bien Skuld, tout va bien »
[Lauriane Dufant, A crocs perdus, Demain la santé p.273]

Et la soignante se fait alors cette réflexion, qui est la conclusion de la nouvelle :

On n’aurait jamais compris ce que [Deshin] désirait si [Skuld] ne l’avait pas compris du dedans. L’opération n’a pas bien fonctionné, mais elle n’est pas mauvaise. Elle pourrait servir à comprendre les patients de l’intérieur, si un praticien l’utilisait sur lui pour se mettre à la place de… et si… ah.
[Lauriane Dufant, A crocs perdus, Demain la santé p.283]

Je trouve assez horrifiant (bien que ce soit plutôt tristement réaliste, in fine) qu’une médecienne arrive à la conclusion que la meilleure manière de comprendre un patient·e non verbal est de violer l’intimité de sa tête (note que Deshin n’a bien sûr à aucun moment donné son consentement pour avoir Skuld dans son crâne, et que le transfert était si violent pour lui qu’il s’est vomi dessus et a commencé à donner des coups dans le vide malgré l’anesthésie, provoquant la chute du corps de Skuld et la mort de ce dernier : cou du lapin).

Je n’aime pas la complaisance avec laquelle la soignante se dit que ce transfert subi était le seul moyen pour comprendre Deshin : alors que ce dernier exprimait très bien (à renfort de cris continus, pour rappel) qu’il détestait le contact de l’eau et que cela n’empêchait pas l’équipe médicale de le doucher de force tous les trois jours (rappel au passage que « ne parle pas » ne signifie ni « dépourvu de pensée construite [p.256] » ni « incapable de communiquer ». D’ailleurs un début de communication se mettait en place entre Deshin et Skuld avant le transfert).

Et puis, il y a plein d’autistes (y compris non-verbaux) qui s’expriment contre la mise en institutions et contre les traitements visant à effacer leurs manières d’être sous prétexte de guérison (être différent, ce n’est pas être moins bien, et l’autrice le sait puisque c’est précisément le message qu’elle essaie de faire passer)

Il me semble que l’équipe médicale aurait pu (du ?) commencer par chercher si Deshin a de la famille pour s’occuper de lui, autre que sa mère… ce qui aurait mené tout droit à la tante de Deshin (aka : là où Deshin désirait si ardemment retourner, mais qu’on n’aurait « jamais pu deviner »)

Ce que je retiens de tout ça, c’est un message de type « il faut accepter les gens différents, après tout : on accepte bien les animaux », et le fait que la nouvelle se termine sur l’annonce d’un potentiel futur président du nom de Mistigri n’a pas suffi à rendre l’ensemble moins déshumanisant à mes yeux.

Par ailleurs, je ne peux m’empêcher de tirer une comparaison entre cette nouvelle et une autre, La réunion de Frederik Pohl et Cyril M. Kornbluth (parue en 1983 en français dans La Grande anthologie de la science-fiction : histoire de médecins). Dans ce texte, le jeune Tommy, neuf ans, non-verbal, suit depuis un mois des cours dans une « institution pour enfants perturbés et déficients mentaux susceptibles d’être éduqués ». Mais cela coute très cher et ses parents ne peuvent pas continuer de payer les frais s’il n’y a pas une chance que leur enfant devienne « comme tout le monde ». L’alternative qu’on leur propose, c’est celle de se servir de leur fils pour sauver un autre enfant, fauché par un camion, et dont le cœur vient de lâcher : accepter qu’on greffe le cerveau de l’accidenté dans le corps de leur gosse handicapé qui ne sera jamais « normal ».

« Tout ce qu’ils veulent, c’est que leur fils vive. Ils n’espèrent que cela. Ils vous donneront la garde de leur enfant — votre enfant, le vôtre et le leur. C’est un très gentil garçon. […]— Ça revient à me dire que je peux troquer Tommy contre quelqu’un de plus intelligent et de plus gentil. »
[Frederik Pohl et Cyril M. Kornbluth, La réunion, La grande anthologie de la SF — Histoires de médecins p.161]

Le protagoniste (le père) est clairement contre. Pour lui, c’est un meurtre. Mais sa femme est pour, ainsi que toute l’équipe médicale qui pousse le père à prendre une décision. Quant au texte, il ne donne pas de réponse : à la toute dernière ligne, le père compose le numéro du chirurgien pour lui donner sa réponse, que nous, lectaires, ne connaitrons pas.

Au final, il s’agit d’une variation sur le thème « est-ce que des personnes peuvent servir de banques d’organes pour en sauver d’autres » que l’on retrouve dans des romans comme Auprès de moi toujours de Kasuo Ishiguro. Sauf que dans Auprès de moi toujours, les personnes qui donnent leurs corps aux autres sont (comme dans le film The Island, d’ailleurs) des clones, et c’est en tant que telle que leurs existences sont estimées sans valeur et sacrifiables pour la santé d’autrui. C’est terrible, mais en même temps, c’est détaché de la réalité : les clones n’existent pas.

Ici en revanche, Tommy est sacrifiable parce qu’il est handicapé, et parce qu’il le restera. Alors il est acceptable aux yeux des protagonistes de le sacrifier à un autre enfant qui, lui, sera valide (si toutefois l’opération est un succès, ce qui n’est même pas garanti).

Au final, je ne sais pas si c’est une parfaite illustration de ce à qu’est le validisme… ou si c’est juste validiste ?

Je suppose que ça dépend de la manière dont on lit le texte.

Mais dans tous les cas, cela m’a fait réfléchir aux autres cas où la science-fiction réfléchit à des manières d’utiliser les corps handicapés, malades ou vieux :

  • Dans Greffe de vie, De Sonya Dorman, une vieille femme est opérée des yeux à répétition. On finit par apprendre qu’elle est en fait vieille et pauvre, et que les opérations sont pratiquées sur elle pour que les étudiant·es en médecine puissent pratiquer.

« Nous reconstituons la blessure ou le dommage initial.
— Et ils n’en sont jamais conscients ? demanda l’autre visiteur. Je veux dire : ils ne se rendent jamais compte, à un moment quelconque, qu’on recommence ?
— Certainement pas, dit le médecin d’une voix choquée.
— Comment les remplacez-vous ? »
Le docteur mit ses mains dans ses poches et se mit à conduire ses visiteurs vers une autre salle du couloir.
« Cet étage est toujours plein, expliqua-t-il… Des cas d’accidents non identifiés, des gens qui n’ont pas de famille, ou, dans la plupart des cas, pas d’argent, et qui ne peuvent pas payer les notes d’hôpital »
[Sonya Dorman, Greffe de vie, La grande anthologie de la science-fiction – Histoires de médecin p.175]

  • Dans Ventres d’airain, de Sylvie Miller, on nous présente un monde futuriste ultra eugéniste où les enfants naissent in vitro : la plupart des embryons « anormaux » sont avortés, mais une loi oblige à en conserver ceux ayant des « défauts très mineurs ». Ces derniers sont alors appelés « Génétiquement impurs non annihilés » (ou Gina pour faire court) et ne sortent jamais des centres de clonage et de reproduction automatisée (CCRA) ou iels travaillent. Leur rôle (du moins pour les femmes parmi les Gina) et de souffrir à la naissance des bébés. Y’a un côté « shock value » dans le fait que les bébés soient supposés avoir besoin de la souffrance de l’accouchement pour ne pas avoir des séquelles psychologique (comme si les césariennes n’existaient pas), mais demeure cette idée d’exploiter les corps handi de manière non conventionnelle, sans se soucier le moins du monde de leur bien être.

Pour que la méthode fonctionne, les bébés devaient absolument croire que les poussées de l’utérus mécanique étaient celles du ventre d’une femme. Il fallait que la personne en train de crier ressente la douleur au lieu de la simuler, et que ses gémissements soient en phase avec le travail de la naissance. D’où l’idée de relier les simulatrices d’accouchement aux matrices artificielles qui les « drogueraient » pour provoquer chez elles les symptômes physiologiques du travail. Il était impensable de soumettre les nourrices à un tel traitement, on avait dévolu le rôle de simulatrice aux Génétiquement Impurs Non Annihilés femelles enfermées dans les CCRA.
[Sylvie Miller, Ventre d’Airain, (Pro)Création p.218]

Quant à Marge Piercy, elle rappelle dans Une femme au bord du temps que ce type de pratiques, qui consistent à transformer les personnes malades en sujets d’expérimentation, n’existent pas uniquement dans la fiction (pas sur n’importe quelle personne malade/handi/vieille, sur celleux qui sont aussi précaires et racisé·es)

« Tu vois, elle pensait être allée voir un docteur. Mais il avait mis sa casquette de scientifique et il faisait une expérience. Elle pensait que c’était une bonne chose qu’elle ait eue la pilule gratuitement. Mais il lui ont donné un comprimé de sucre à la place. Ce docteur, il ne lui a pas dit ce qu’il faisait. Donc elle a encore grossi avec le septième enfant. […] Ils aiment essayer des traitements sur les pauvres. Surtout les personnes à la peau brune et noire. Les détenus en prison, aussi. »
[Marge Piercy, Une femme au bord du temps, p.376-377]

Cela, c’est quand on trouve une utilité aux personnes les plus fragiles.

Quand il n’y en a pas : c’est la mort.

Au fil de cet article, j’ai mentionné plusieurs fois que des nouvelles se déroulaient dans un contexte eugéniste (Lozapéridole 50 mg comprimée pelliculée de Ketty Steward ou Ventre d’Airain de Sylvie Miller, par exemple). Mais une chose que je trouve notable, c’est que l’idée de tuer les personnes les plus fragiles est parfois présentée comme « progressiste » : c’est cette idée d’une « mort digne » pour les personnes trop âgées et trop en souffrances qui n’est en fait pas aussi simple qu’il n’y parait.

Dans la nouvelle Les derniers des possibles, de Cholé Chevalier, on nous présente une société dans laquelle l’hôpital manque tellement de moyens que les gens doivent se soigner elleux-mêmes. Au début de l’histoire, l’héroïne se trouve une grosseur dans le sein, mais n’a pas les moyens de savoir de quoi il s’agit. Tout ce qu’on lui propose, c’est de se faire opérer dans un centre hospitalier autogéré, en échange de quoi elle doit elle-même apprendre à reproduire l’acte qui l’a sauvée.

Note sur le fonctionnement du collège autogéré de médecine et sur pourquoi ça peut poser des problèmes dans le soin des plus âgés

J’aime beaucoup ce que l’on nous montre de « Collège de Médecine autonome », où, malgré le manque de moyens, l’éthique est remise au cœur de la démarche de soin : la hiérarchie entre patient·es et soignant·es est abolie, le savoir n’est pas la chasse gardée d’une élite, le consentement éclairé de toustes est une valeur centrale…

Si tu cherches un diplôme, tu risques d’attendre longtemps, parce que pas grand monde en a ici. Mais si tu cherches quelqu’un capable de te soigner, peut-être qu’on pourra t’aider…. […] Et autre chose : on n’aime pas trop la hiérarchie. T’attends pas à trouver la bonne vieille distinction docteur, infirmier et compagnie. Y’a ceux qui savent plus, et ceux qui savent moins, c’est tout. Et on peut aussi bien oublier des choses avec le temps, perdre la main, que continuer d’apprendre toute sa vie. [Quel que soit la tâche], soit tu sais faire, soit tu sais pas faire. Mais c’est pas un état fixe et cloisonné, tu piges ? »
[Les derniers possibles, Chloé Chevalier, p.97]

« Je cherche juste à te rassurer. Pas à te convaincre. Ton corps, ta vie, ton choix »
[Les derniers possibles, Chloé Chevalier, p.99]

Il n’y a qu’un point, en fait, qui me dérange (et ce n’est pas tant un détail) :

« Katia, il faut aussi qu’on parle de l’engagement que tu devras prendre ici, en échange du soin. »
[…] Enfin Louane évoquerait la règle la plus importante, le principe fondateur du Collège : payer les soins en apprenant, ensuite, à les reproduire. Mon salaire, c’est ton savoir serait la devise des soignants œuvrant ici.
[Les derniers des possibles, Chloé Chevalier, p.100]

Autant je vois l’idée de départ (faire en sorte que les connaissances médicales se répandent le plus possible), autant sa mise en application ne passe pas. L’accès au soin doit demeurer gratuit, pas « payant, mais ça va : c’est pas directement avec des billets de banque qu’on paie ». Sinon, on est dans un modèle qui n’est plus social du tout, qui oublie qu’hélas les personnes les plus susceptibles d’avoir besoin de soins sont aussi celles qui risquent d’être les moins capables de les reproduire.

Comment la narratrice aurait-elle fait pour « rembourser » son ablation du sein si elle avait eu des mains tremblantes, une fatigue chronique, des problèmes d’attention rendant impossible de se concentrer sur un acte chirurgical de précision qui peut durer deux heures, ou si tout simplement elle était du genre à s’évanouir à la vue du sang ?

Comment font les personnes âgées pour soigner leurs problèmes de santé qui s’accumulent avec le temps s’il leur faut « payer en apprenant » pile au moment où, justement, leurs facultés décroissent ? (Je crois hélas que la nouvelle répond à cette question de la pire des façons, mais j’y reviendrais).

Ce sans compter qu’au-delà d’un aspect technique « être capable d’accomplir un acte médical », tout le monde n’a pas forcément le tempérament qu’il faut pour être un bon soignant·e, suffisamment à l’écoute, capable de rassurer les patient·es. Et ce n’est pas grave : il y a d’autres choses où ses personnes auront leur place. Par exemple, quand on rencontre l’héroïne, elle est institutrice. C’est aussi un métier important. Ça n’a pas de sens de l’empêcher d’enseigner pour lui faire entamer de force une carrière de soignant·e où elle est potentiellement moins performante. Et même d’un point de vue narratif : j’aurais trouvé le récit plus fort si personne n’avait imposé à l’héroïne d’apprendre à soigner, que c’était d’elle-même qu’elle s’en était senti le devoir, et qu’ainsi était née sa vocation.

 

Le problème, c’est que la situation reste précaire, et que les personnes les plus fragiles n’ont (comme je l’expliquais plus en détail dans la note ci-dessus) pas forcément les moyens d’être soignées correctement dans ce système.

Question : que font les personnes qui n’espèrent plus être soignées ?

Réponse : elles se suicident. (et c’est montré comme positif)

[Lina] voudrait que [Katia] l’ausculte : son souffle siffle quand elle marche, elle a mal en respirant.
[…]« C’est la fin, n’est-ce pas ?
— Bientôt, je pense.
— C’est pour ça que je suis revenue. Tu m’aideras, d’accord ? Avant que ça ne devienne trop dur. »
[Chloé Chevalier, Les Derniers possibles, Demain la santé p.112]

Ce n’est pas que je sois contre l’euthanasie dans l’absolu, mais mon avis sur la question rejoint plutôt celui d’Alistair :

Je ne suis pas contre l’euthanasie. Ni d’un point de vue moral (« la vie est sacrée pas touche ») ni d’un point de vue éthique (« il n’existe pas de situation où l’euthanasie soit une bonne solution »).
En revanche, il me semble que pour que l’euthanasie soit une pratique éthique il faut à minima que la personne qui en meurt soit consentante, sinon ça s’appelle plutôt un assassinat.
Or le consentement, ça ne s’extorque pas par négociation et menace, sinon, ce n’est pas du consentement. Pour qu’une euthanasie soit consentie, il faut donc qu’elle puisse être librement choisie, et pour qu’il y ait un choix, il faut qu’il y ait d’autres options.
[…]Si vous voulez légaliser l’euthanasie, surtout n’hésitez pas à vous engager dans les luttes pour les droits qui permettront son exercice de manière consentie et éthique :
– Désinstituionalisation de toutes les personnes handicapées.
– 
Accès rapide et durable aux aides humaines et matérielles.
– Revenu universel pour toustes et particulièrement pour les personnes handicapées.
– Solution massive de lutte contre la pauvreté, les violences domestiques, les violences sexuelles.
– Gratuité de TOUS les soins.
– Accessibilité de tout, pour toustes.
[extrait d’un fil tweeter d’Alistair que je vous recommande de lire en entier, ainsi que son complément qui parle plus spécifiquement de la fin de vie associée à la vieillesse, et du fait que « pour beaucoup de gens « Si je deviens malade/handicap/fou je veux mourir. » ça désigne toujours le stade d’après » : car l’être humain est extrêmement plastique, et en fait, quand les capacités diminuent, on s’y adapte. On fait autre chose : exactement de la même manière qu’à partir de trente ans la plupart des gens constatent qu’iels tiennent moins bien l’alcool qu’à vingt ans et arrêtent de se murger la gueule en soirée autant qu’avant]

Bref : ici on est dans un monde où l’hôpital est mort, et même si Lina a (je l’espère) droit aux soins du groupe de soignant·es indépendant·es pour avoir elle-même exercé pendant plus de 40 ans, ces soins ne suffiraient pas à ce qu’elle ait une vie digne de vieille dame aux poumons abimés par la cigarette.

Alors quand je lis cette scène, je lis un meurtre :

Katia a pris une seringue, un anesthésiant volé avec efforts par un camarade de Collège dans une clinique sécurisée, à Paris. Lina s’est endormie chacun l’a embrassée, a murmuré un dernier mot. Ensuite, ils ont posé un oreiller sur son visage, sur l’oreiller leurs mains, et tous ensemble, ils ont appuyé. Son stéthoscope sur le poignet de Lina, Katia a attendu que le cœur s’arrête.
[Chloé Chevalier, Les Derniers possibles, Demain la santé p.112]

(Notons que dans le même recueil, deux autres nouvelles parlent d’euthanasie : FeelGood (de Raphaël Granier de Cassagnac) et De nos corps inveillés viendra la vie éternelle (de Norbet Merjagnan), et cela ne me semble pas tout à fait anodin.)

Ce que j’aimerais, moi, c’est des récits qui accompagnent leurs personnages fragiles jusqu’au bout : il ne s’agit pas de nier que la vie s’achève, surtout quand la vieillesse s’installe, mais ce n’est pas une raison pour précipiter les choses.

On a le droit de continuer à vivre, même quand on devient vieux et « inutile », même quand on souffre. On devrait apprendre à entourer les personnes qui sont âgées, handicapées, folles ou malades plutôt que « d’abréger les souffrances » ? Car quelles souffrances abrège-t-on, en réalité ? Celle des patient·es… ou les nôtres, parce qu’on trouve trop difficile d’être témoin de la souffrance d’autrui ?

À ce compte, je vous encourage à regarder ces deux vidéos de Vivre Avec : l’une décortique le discours d’une mère justifiant le meurtre de son fil handicapé de trois ans, l’autre traite des conséquences que peuvent avoir sur les adultes handicapés le fait de regarder des fictions où le suicide assisté de personnage handicapé et présenté comme désirable.

Dans une scène d’Une femme au bord du temps, on nous annonce que l’heure de la mort est venue pour un des personnages, Sapho, et tous les autres se précipitent pour venir la soutenir dans ses derniers instants. J’avais peur, de prime abord, que le moment soit un moment « décidé » et que quelqu’un « achève les souffrances » de Sapho (Notez qu’ici, cela n’aurait pas été aussi dérangeant que dans Le Dernier des possibles, puisque la scène se déroule dans le futur utopique où l’on peut considérer que la décision d’une mort par euthanasie serait la plus éthique possible. Mais dans la mesure où nous, lectaires, n’en sommes pas encore là dans notre vie de tous les jours, j’avoue que j’aurais trouvé prématuré de faire l’article de la pratique).

Mais ce n’est pas du tout le cas. Sapho n’a pas décidé sa mort, elle l’a sentie venir. Ses proches ne sont pas là pour la tuer, mais pour l’entourer et prendre soin d’elle.

Tout le monde s’était retiré pour laisser Bolivar avec Sappho. Il tenait la tête de la vieille femme, ses doigts se crispaient, se déplaçant, et pour la première fois en un quart d’heure, les lèvres de Sappho tâtonnèrent pour former des mots. « Bien… Là ! Bien », furent les seuls mots qu’elle prononça, puis dans un tremblement rauque, elle expira son dernier souffle.
Bolivar se leva. « L’individu qui était Sappho est mor. »
[Marge Piercy, Une femme au bord du temps, p.222]

Conclusion

(Et pourquoi faut y aller molo avec vos imageries martiales là)

Si je devais résumer le contenu de ce dense article en une seule phrase, je dirais que : la question du validisme (et plus largement du traitement des personnes fragiles pour des questions d’âge ou de maladie plutôt que de handicap) dans la science-fiction brille par son absence.

La SF crip n’existe pas, il faut la chercher par des voies détournées, en se penchant sur les fictions qui parlent de soin (1). Et même là, entre les fictions qui réduisent le soin au féminisme (et parfois au queer) (2), celles qui ne prennent même pas la peine de se demander ce qu’elles entendent par « pathologique » (3), celles qui ne font mine de s’intéresser à la santé que pour parler de tout à fait autre chose (4) et celles qui manquent de nuance dans les critiques légitimes qu’elles essaient d’adresser (5), on peine à trouver son bonheur. Cela ne veut pas dire que les bons textes n’existent pas (il y en a, heureusement ! Et j’espère avoir réussi à leur rendre honneur). Mais disons que la fiction ressemble à la réalité : elle ne sait pas quoi faire de nous. Nous les handi, les malades, les fols, les viellard·es.

Dans la dernière partie de mon article (sur la mort des faibles), j’ai essayé de montrer que le capitalisme ne savait pas quoi faire des plus faibles (6),

Ce que je crois, c’est que les structures narratives classiques ne savent pas non plus quoi faire de nous.

Presque par définition, les « faibles » ne sont pas des héros.

Pourtant, il y a un intérêt politique majeur à nous inclure.

« En quoi puis-je aider ? Qui pourrait avoir moins de pouvoir ? Je suis prisonnière. Une patiente. Je ne peux même pas avoir un livre ou des allumettes ou garder mon propre argent. Vous avez choisi la mauvaise sauveuse, cette fois !
— Les puissans ne mènent pas de révolutions, dit Voyageuse avec un immense sourire jauni.
[Marge Piercy, Une femme au bord du temps, p.273]

Il nous faut inventer des structures (narratives) dans lesquels les personnages handicapé·es ou malades ou fols ou âgé·es peuvent exister.

Et chose intéressante, ces structures ne seront pas forcément dépourvues de combats.

Je l’ai cru un moment, à cause de la prépondérance des récits pour lesquels « être malade » est synonyme « d’être en guerre contre la maladie, lancé dans une quête épique pour la guérison ». Je m’étais dit que Susan Sontag avait raison de déclarer que « les métaphores modernes de la maladie sont toutes minables […] et la métaphore du cancer [tirée du vocabulaire de la guerre] est particulièrement grossière » (p.110). (Ajoutons que le cancer n’est pas la seule maladie à laquelle on applique une imagerie martiale, cf. le discours d’Emmanuel Macron sur la pandémie de Covid « nous sommes en guerre »)

Dans son essai La Maladie comme métaphore (dont j’ai déjà parlé dans ma partie éponyme), elle explique notamment que :

Les spéculations du monde antique faisaient le plus souvent de la maladie un instrument de la colère divine. […] Les maladies sur lesquelles se sont greffés les phantasmes modernes — tuberculose et cancer — sont considérées comme une forme d’autopunition, de trahison du soi.
[Susan Sontag, La Maladie comme métaphore, p.565]

Et de fait, je n’aime pas les récits qui montrent la maladie, ou le handicap, ou la folie, ou la vieillesse, comme des choses à combattre. Ce d’autant moins que, outre les problèmes déjà évoqués dans les parties « le problème avec un monde sans maladie » et « la maladie comme métaphore », cela a tendance essentialiser et antagoniser l’idée d’une Nature. C’est ce qui arrive par exemple dans la nouvelle Les Enfants miracles de Patrick Eris. Dans ce texte, un médecin arrive à mettre au point un traitement contre la stérilité, mais puisque les enfants nés de ce processus n’étaient « pas censé naitre », on nous explique qu’ils meurent tous mystérieusement, parce que la nature « rééquilibre » l’ordre des choses.

Cela ne peut pas être une coïncidence. Pas sur des centaines d’enfants. Il y a forcément quelque chose à l’œuvre, quelque chose qui ne peut être une agence Terrestre. On a pensé à des maniaques religieux, mais trop de ces gosses sont morts sans la moindre intervention humaine et la piste a vite été oubliée. La vérité est bien plus simple : personne ne sait ce qui se passe.
[…] Selon certaines notions, il est possible que l’univers se soit rajusté de lui-même ; ces enfants n’étaient pas censés naitre, la nature les a éliminés en douceur. […] Il n’y a ni bien ni mal, juste un équilibre à maintenir. […]Et une question est venue à mon esprit. Lorsque cette force quelconque, ce principe aura rétabli l’équilibre en éradiquant ces petits monstres… Est-il possible qu’il s’en prenne à leur créateur ?
[Patrick Eris, Les Enfants miracles, (Pro) créations p.207]

Bref, je ne pense pas avoir besoin d’expliquer en quoi de telles idées sont réactionnaires.

Mais Susan Sontag ne s’intéressait pas à la maladie en soi, mais à sa récupération politique, comme elle le dit elle-même dès son introduction :

Mon propos n’est pas la maladie physique en soi, mais l’usage qui en est fait en tant que figure ou métaphore.
[Susan Sontag, La Maladie comme métaphore, p.11]

Il y a de fait des combats à mener autour de la santé. C’est-à-dire : il y a des revendications à porter.

Par exemple, on peut dénoncer le manque de moyens accordés aux services publics dont l’hôpital fait partie. À ce niveau, je peux recommander les deux nouvelles CRISPR casse Desneuf de Benno Maté et Considère le nénufar de Sabrina Calvo, qui abordent la question chacune à leur manière (avec humour pour l’une, avec une poésie absurde pour l’autre).

On n’a jamais trop compris ce dont il s’agissait mais, paraît-il, à la fin des années 80 on est passé d’un modèle global de soin à celui du geste individuel. C’est-à-dire qu’on facture tout : quand on bouge le bras, quand on regarde, même — on a des lunettes spéciales qui permettent de mesurer l’étendue du champ de vision, avec des restrictions en cas de problème budgétaire — ça arrive assez souvent alors on compense par des rotations de hanches, moins chères. Des fois, mesurer le petit doigt c’est chaud mais on a développé des techniques à nous, avec des attelles graduées et des règles d’écolier cassées en deux. On a des podomètres automatiques dans nos bipeurs Tam-tam® […]. C’est forcément de la paperasse en plus mais ça aide vraiment la direction à faire des choix. C’est fou comme la technologie facilite la vie quand on met les priorités aux bons endroits.
[Sabrina Calvo, Considère le nénufar, Demain la santé p.626]

On peut aussi dénoncer le fait que les institutions médicales et psychiatriques agissent comme des organes de normalisation plutôt que comme des services de soin.

C’est ce que font un certain nombre d’œuvres que j’ai citées au cours de cet article. En particulier, c’est ce que fait Marge Piercy dans Une femme au bord du temps.

Ce qui m’a marquée avec ce roman-là en particulier, c’est qu’on y suit une protagoniste internée de force par des hommes de son entourage, qui entre en communication avec une voyageuse venue d’une futur utopique. Mais, fait intéressant : ledit futur utopique n’est pas dépourvu de conflits. On nous dit même à plusieurs reprises qu’une guerre est en court contre un mystérieux ennemi, en guerre parce que le futur n’est pas garanti, et qu’un avenir dystopique pourrait advenir à la place (on nous en montre d’ailleurs un échantillon au chapitre quinze).

« Nous pourrions le formuler ainsi : à certains nœuds de l’histoire… des forces sont en conflit. La technologie est déséquilibrée. Trop peu ont trop de pouvoir. Les futurs alternatifs sont probables à parts égales, ou presque égales… et cela affecte… la forme du temps. »
[Marge Piercy, Une femme au bord du temps, p.271]

Il y a vraiment beaucoup de choses à tirer de l’observation du futur utopique : gestion des conflits, manière de rompre la dépendance parent/enfant, organisation du deuil, répartition des tâches, etc. Mais ce que retient Connie, c’est qu’elle est en guerre :

Elle savait quelque chose de nouveau, en revanche. La guerre faisait rage hors de son corps à présent, hors de son crâne, mais l’ennemi persévèrerait et franchirait à nouveau ses limites dès qu’il aurait choisi son prochain mouvement. Elle était en guerre.
[Marge Piercy, Une femme au bord du temps, p.458]

Mais la guerre qu’elle mène, elle n’est pas contre la maladie. Elle est contre les autorités qui décident de l’extérieur lesquels de ses comportements sont normaux et lesquels sont pathologiques, qui se permettent de décider à sa place ce qu’elle peut faire ou non, qui la privent totalement de liberté, qui ne lui laissent rien : ni la garde de sa fille, ni la présence de son amant mort en prison, ni d’espoir pour elle-même.

Connie est impuissante à reprendre en main son destin, et elle a conscience que chaque tentative de sa part de répliquer sera sévèrement réprimandée. Mais elle n’est pas passive, et elle n’a pas peur de riposter à la violence qu’on lui inflige, elle qui n’a plus rien à perdre (et qui cependant, perd quand même).

Il y a énormément dans ce roman, et je n’ai pas la place de tout analyser. Je vous encourage surtout à aller le lire de vous-même (vraiment, ce n’est pas une lecture facile, mais c’est un chef-d’œuvre).

Mais en particulier, et c’est une chose que j’aimerais trouver plus souvent : il donne le rôle central à des personnages qui n’ont pas de pouvoir, et cela se ressent jusque dans la structure même du récit (et dans sa conclusion).

« On peut toujours refuser quelque chose à un oppressyr, même si ce n’est que son allégeance. Sa croyance. Son coopement. Souvent, même avec des pouvoirs très inégaux, on peut trouver ou forcer une ouverture pour riposter. À ton époque, de nombreuses personnes sans pouvoir trouvaient des manières de se battre.
[Marge Piercy, Une femme au bord du temps, p.445]

Bibliographie

Je mentionne aussi des titres non analysés dans l’article mais dont la lecture m’a permis d’établir ma vision d’ensemble du thème.

Je mets des ⭐ devant les livres que je recommande particulièrement (il y a aussi du très bon dans les autres titres, mais j’ai envie de mettre mes coups de cœur en lumière u.u)

Romans :

  • ⭐ Akwaeke Emezi : Eau douce (Quasi-autobiographie sur le fait d’avoir plusieurs personnes à l’intérieur de soi, en lien avec la culture igbo)
  • Cara Zina : Handigang (sur des personnes handicapées qui font valoir leurs droits)
  • Chi Ta Wei : Membrane (à rapprocher de la nouvelle du même auteur, Au fond de l’œil, au creux de sa paume, une rose rouge va bientôt s’ouvrir parue dans le recueil Perles) > Sur les projections que font les parents sur leurs enfants (comment ils peuvent chercher à les modeler en exerçant sur eux le même type de violences que la société inflige aux enfants intersexes)
  • ⭐ Cristina Morales : Lecture Facile (sur la vie sous tutelle de quatre cousines)
  • François Rouiller : Métaquine (sur une molécule qui sert à rendre les gens plus productifs)
  • Kasuo Ishiguro : Auprès de moi toujours (Vies de clones élevés pour être donneurs d’organes (car on considère qu’iels n’ont pas d’âme))
  • li-cam : Résolution > (une société utopique est conçue par et pour la narratrice neuroAtypique)
  • ⭐ Marge Piercy : Une femme au bord du temps (Une femme internée de force dans une institution psychiatrique reçoit la visite d’une voyageuse du futur, et visite en pensée son monde utopique)
  • Martin Winckler : Le Chœur des femmes & L’école des soignantes (Sur les violences médicales (en particuliers celles commises sur les femmes et les personnes intersexes) et sur des alternatives possibles à ces violences)
  • Mariam Petrosyan : La Maison dans laquelle (Des enfants handicapées vivent dans une étrange maisons)
  • Project Itoh : Harmonie (Une société veut prendre soin de la santé des gens, mais apparemment c’est une idée fasciste qui ne peut fonctionner qu’en supprimant le libre arbitre)
  • Rivers Solomon : L’incivilité des fantômes (Dans un vaisseau spatial, les personnes subissent une discrimination qui est à la fois lié à la race, à l’intersexuation, et au handicap)
  • Victoria Mas : Le bal des folles (Une femme qui entend les esprit se retrouve internée de force à l’hôpital de la Salpêtrière, au 19e siècle)

 Nouvelles :

  • Dans l’anthologie Demain la santé :
    – Beno Maté : CRISPR casse Desneuf (sur l’abandon du service public hospitalier)
    – Chloé Chevalier : Les derniers possibles (sur un hôpital autogéré dans un futur dystopique où l’hôpital public n’existe plus)
    – Jean-Charles Vidal : Dans la forêt (sur des porteurs de guérisons qui peuvent guérir toutes les maladies mais les gens continuent de se croire malade à tort because reasons ???)
    – ⭐ Ketty Steward : Lozapéridole 50mg comprimée pelliculée (sur une entendeuse de voix dont le médicament arrive en rupture de stock)
    – Lauriane Dufant : A crocs perdus (sur une clinique qui met en relation des personnes handicapées pour qu’elles s’aident mutuellement)
    – Mélanie Fievet : Inotropisme (une manifestation face à des flics qui se servent de la santé comme d’une arme)
    – ⭐ Sabrina Calvo : Considère le nénufar (sur le manque de moyen accordé à l’hôpital qui se retrouve, littéralement, à facturer chaque geste, et ainsi à tout déshumaniser)
    – Sylvain Palard : A l’intérieur d’Orchid Naakey (sur une personne qui peut guérir toutes les maladies, y compris l’addiction à un « vaccin universel » ???)
    – Théodore Koshka : Fall (Une psychologue humaine obtient l’autorisation de recevoir des patient·es aliens, ce qui est absolument inédit)
    – Tristan Bultiauw : Aszgôn (conte philosophique où les maladies sont un symptôme du capitalisme et/ou du manque de sens) 
  • Dans l’anthologie En situation de handicap… dans le futur :
    – Judith Pradal : La génitrice (dystopie eugéniste)
    – Philippe Caza : Ce qui est en bas (Une histoire où des handis veulent interdire l’utilisation de fauteuils roulants aux valides)
    – Romain Tribalat : La couleur du handicap
    – Romane Le Dain : L’Echapée (sur un futur validiste où on veut forcer les handis à porter des prothèses, et exclurent celleux dont le handicap ne peut pas être « guérit ») 
  • Dans La grande anthologie de la science-fiction – Histoire de médecins :
    – Catherine Moore : Aucune femme au monde (Une femme transférée dans le corps d’un robot suite à un accident voudrait reprendre sa pratique artistique, mais les médecins trouvent l’idée répugnante)
    – Frederick Pohl et C.M. Kornbluth : La Réunion (on propose aux parents d’un enfant handi-psy que son corps soit utilisé pour sauver un enfant en arrêt cardiaque)
    – Sonya Dorman : Greffe de vie (le corps d’une vieille dame pauvre est utilisé pour pratiquer à répétition des opérations chirurgicales oculaires, en tant que support de cours pour la faculté de médecine) 
  • Dans l’anthologie (Pro)créations :
    – Amin Maalouf : extrait de Le premier siècle après Bérénice (une pilule est inventée pour choisir le sexe masculin des futurs bébés)
    – Jean-Pierre Fontana : Et je lui donnerai pour nom Emmanuel (Une femme désire être enceinte dans un monde où ça ne se fait plus, et tout le monde la juge malade)
    – Patrick Eris : Les Enfants miracles (Des enfants nés grâce à une procédure médicalement assistée meurent mystérieusement parce qu’ils « étaient pas censés naitre » ???)
    – Sylvie Miller : Ventre d’airain (Dans une société méga-eugéniste, on pense que torturer les handicapés restants aide au bien être des futurs nourrissons) 
  • Catherine Dufour : L’immaculée conception, in L’Accroissement mathématique du plaisir (Sur l’absurdité des régimes alimentaires)

Essais :

  • ⭐ Devon Price : Unmasking Autism (non traduit en français, sur l’invisibilisation de l’autisme chez les personnes marginalisées parce qu’elles sont des femmes, des personnes queers, des personnes racisées, ou des personnes précaires. Sur les conséquences de cette invisibilisation et les manières de lutter contre)
  • Renate Lorenz : Art queer – Une théorie crip (Une présentation d’œuvres d’art contemporain qui subvertissent la notion même de corps)
  • ⭐ Susan Sontag : La maladie comme métaphore (une analyse des manières dont on se saisit de certaines maladies, en particulier la tuberculose et le cancer, pour créer des métaphores qui ne parlent pas, en fait, de maladie)

Film / séries :

  • Dopesick (Sur la crise des opiacées au état unis)
  • Le bal des folles et Stonehearst Asilum (sur les asiles psychiatriques au 19e siècle)

Autre :

  • Instagram d’Alok V Menon (pour des comptes-rendus de lecture d’ouvrage qui traitent de l’intersection historique entre racisme, queerphobie/sexisme et validisme
  • Chaine youtube de Vivre Avec (qui parle de handicap)
  • Chaine youtube d’Alistair (qui parle d’autisme et de handicap)

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